vendredi 7 décembre 2018

Éloge du factice














Alors que le comédien se produit sur la scène de la Cave Poésie dans "la Chasse au snark" de Lewis Carroll, Denis Lavant est aussi l’invité de la Cinémathèque de Toulouse.


La Cave Poésie accueille une nouvelle fois le comédien Denis Lavant, avec Laurent Paris aux percussions et Camille Secheppet au saxophone, pour la fin de leur triptyque anglais. Après "le Dit du vieux marin", de Samuel Taylor Coleridge, puis "la Ballade de la geôle de Reading", d’Oscar Wilde, créée l’année dernière à Toulouse, le trio présente ces jours-ci "la Chasse au snark", de Lewis Carroll. Sous-titré "Délire en huit crises", ce texte est un poème drôle et sinistre aux accents absurdes.


À l’occasion des représentations de "la Chasse au snark", Denis Lavant est l’invité de la Cinémathèque de Toulouse qui projette neuf films puisés dans sa filmographie. Trois d’entre eux sont signés Leos Carax, dont il est devenu l'acteur fétiche depuis leur rencontre pour "Boy meets girl", en 1984. Il interprète Alex – qui est aussi le véritable prénom de Carax –, poète écorché vif et amoureux qu'on retrouve dans "Mauvais sang" en 1986. Quatre ans plus tard, le cinéaste le choisit à nouveau pour incarner le personnage d'Alex, clochard magnifique et passionné, dans "les Amants du Pont-Neuf" aux côtés de Juliette Binoche. Cette grosse production au tournage chaotique connaîtra un échec public. «Leos Carax a perçu en moi une capacité de jeu naturaliste mais physique, excentrique, c’est le premier qui m’a fait danser... D’autres réalisateurs, ensuite, l'ont fait également, comme Claire Denis… Je ne comprenais pas ce que je faisais mais Leos Carax m’a vu. Je suis heureux d’être tombé sur lui ou sur d’autres metteurs en scène qui ont projeté sur moi un imaginaire qui n’était pas celui, conventionnel, des cours de théâtre», confiait récemment le comédien.


Denis Lavant brille à la tête d’un groupe de légionnaires dans "Beau travail" (1995), de Claire Denis, d’après la nouvelle "Billy Budd" d'Herman Melville, ou encore dans le rôle-titre de "Capitaine Achab" (2007), de Philippe Ramos, inspiré de "Moby Dick" du même Melville. Mais c’est le théâtre qu’il chérit particulièrement : «Le comédien est forcément dans une création, dans une proposition, lui-même matériau et démiurge de son jeu. Le théâtre est un exercice qui n’a pas son pareil, un acte archaïque, un phénomène humain de l’ordre de la cérémonie magique, une assemblée de gens qui accepte de croire qu’un groupe d’artisans sont des personnages d’une histoire fictive. Ils acceptent cette illusion et d’être à distance et partie prenante de ce qui est en train de se raconter. Au cinéma, c’est factice. Je ne tiens pas à tourner absolument au cinéma car c’est rentrer dans un domaine factice qui veut faire croire que c’est du réel : on a davantage tendance à identifier l’acteur à son personnage, il y a une sorte de confusion que je trouve bête. J’ai aimé en faire, j’aime en faire mais je me méfie du cinéma, dans ce que ça implique dans la relation humaine. Je continue l’artisanat du théâtre car c’est un des seuls endroits de l’existence où on peut être sans arrière-pensée dans du présent, vivre un présent le plus absolu possible...», assurait-il au micro de France Culture.(1)
 

Jérôme Gac
photo: "Beau travail"
 
(1) "Les Masterclasses", France Culture (2017)
 


Rétrospective, du 8 au 21 décembre, à La Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.
 

"La Chasse au snark", du 10 au 14 décembre, à la Cave Poésie - René-Gouzenne,
71, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 61 23 62 00.


mercredi 7 novembre 2018

C’est leurs choix




 









La deuxième édition du festival Histoires de Cinéma invite à la Cinémathèque de Toulouse Claude Lévêque, Maylis de Kerangal, Claire Atherton, Maud Nelissen, le MoMA de New York, etc.
 

Nouveau festival de la Cinémathèque de Toulouse, Histoires de Cinéma s’attache à raconter le cinéma à travers les récits de cinq personnalités invitées à présenter leur sélection de films. «Parce que mettre des films ensemble, qui se prolongent, qui se répondent, qui se télescopent, c’est dire quelque chose. Quelque chose du cinéma et quelque chose du monde dans lequel on vit», assure Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse.

Histoires de Cinéma s’attache à mettre en lumière le patrimoine cinématographique par le biais de cartes blanches confiées à des professionnels du cinéma, mais pas seulement puisqu’on attend pour cette deuxième édition la visite du plasticien Claude Lévêque et de l’écrivaine Maylis de Kerangal, aux côtés de la monteuse Claire Atherton. Compositrice néerlandaise, Maud Nelissen accompagnera au piano trois longs métrages, dont le film d’ouverture et "la Passion de Jeanne d’Arc", de Carl T. Dreyer. L’archive conviée cette année est le prestigieux MoMA de New York, qui présentera son travail de restauration récemment effectué sur son fonds William Fox du début des années trente.


Jérôme Gac

"La Passion de Jeanne d’Arc" © Gaumont
 


Histoires de Cinéma, du 9 au 17 novembre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.


vendredi 19 octobre 2018

L’angoisse à l’italienne

















Sept films du réalisateur italien Dario Argento à la Cinémathèque de Toulouse.
 

Ressortis dans les salles cet été en version restaurée, six films de Dario Argento sont à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse, dont "Opéra" (1987) qui était resté inédit – la version VHS disponible en France était tronquée. On verra également "le Sang des innocents", un «giallo», genre de thriller d'angoisse à l’italienne où l'érotisme malsain se mêle à la violence, sorti en 2002. Critique de cinéma au journal Paese Sera, puis scénariste ("Il était une fois dans l'ouest"), Dario Argento réalise en 1969 son premier long métrage, "l'Oiseau au plumage de cristal". Révélant un style personnel, le film est inspirée du livre "la Belle et la bête" de Fredric Brown et du film "la Fille qui en savait trop" de Mario Bava. On décèle dans ce «giallo» les influences de son auteur qui puise du côté de l’expressionnisme allemand et du cinéma d'Alfred Hitchcock. L’œuvre révèle déjà les indices de ce qui deviendra la marque de fabrique d’Argento : scènes violentes, mouvements complexes de caméra, éclairages agressifs, etc. Aussitôt remarqué, le film constitue le premier volet d’une trilogie animalière complétée en 1971 avec "le Chat à neuf queues", puis "Quatre mouches de velours gris". 

Après "le Cinque giornate", évocation de la révolution de 1848 à Milan, il exploite de nouveau ses obsessions en 1975 pour livrer "les Frissons de l'angoisse" (photo). Dario Argento confesse : «D’un côté, je vois de la cohérence dans mon cinéma, dans cette recherche qui a pris forme au fil des années et qui évolue toujours. Mais je me souviens aussi que quand j’ai fait "Quatre Mouches de velours gris", quand je l’avais presque terminé en fait, je me suis dit qu’il fallait changer, explorer de nouveaux territoires, de nouveaux parcours. J’ai donc pensé à l’épouvante, genre que j’ai toujours aimé depuis que j’étais gamin : les récits de Edgar Allan Poe et Lovecraft, et aussi les films d’horreur américains des années 1950. Le temps était venu pour un tournant, et j’ai eu l’idée d’un film où il n’y aurait pas de changement complet, mais quand même un récit différent. J’ai donc pensé aux "Frissons de l’angoisse", où la psychologie est différente, les enquêtes policières sont différentes, et il y a aussi beaucoup d’imagination et de pensées. C’est un film que j’ai écrit très rapidement, mais j’y ai pensé pendant très longtemps.»(1)


Deux après, le cinéaste passe à la vitesse supérieure avec "Suspiria", film d’horreur fantastique sur fond de sorcellerie, qui plonge le spectateur dans un univers labyrinthique oppressant, saturé d’effets visuels baroques et de sonorités entêtantes. Il ne cessera d’exploiter ensuite ce système de mise en scène qui fera largement école dans les années quatre-vingt. Dario Argento se souvient : «J’aime avant tout les films les plus difficiles à réaliser. "Suspiria" en fait partie. Ce fut à la fois un défi technique et scénaristique. J’avais notamment décidé de ne pas faire deux plans semblables. Avec le directeur de la photo, nous avons donc élaboré quelque chose comme 2 000 plans et seulement deux ou trois sont comparables. C’est ce qui donne, en partie, cette sensation de vertige que je voulais. Je faisais preuve alors d’un grand enthousiasme dans le maniement de la caméra.»(2) Pour relever cet audacieux pari, "Suspiria" est tourné en support Technicolor, un procédé déjà abandonné à l’époque.


"Suspiria" est le premier volet de la Trilogie des Enfers (ou des Trois Mères), qui sera suivi de "Inferno" (1980) et "la Terza Madre" (2007). «A propos de ma trilogie, j’ai fait le deuxième film trois ans après le premier, et lorsqu’il a été question de tourner le troisième, j’ai dit non. Je pensais qu’il fallait attendre. Pendant ce temps-là, je suis allé en Amérique, j’ai signé deux films avec ma fille Asia, plus deux épisodes des "Masters of Horror". Puis, quand plus personne ne pensait à me demander où en était ce troisième volet, alors j’ai commencé à tourner "la Terza Madre". Je ne crois pas aux sorcières, parce que je n’en ai jamais rencontré. Mais c’est un thème qui permet de faire un grand saut dans l’inconnu, dans l’irrationnel. Plus encore aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans, la réalité s’est enlaidie, alors il faut en sortir», constatait-il lors de la sortie du troisième volet de cette trilogie.(2)


«J'ai besoin de temps, je suis lent. Chaque film est une grande élaboration. Je pense et je voyage. Découvrir des lieux et des cultures qu'on ignorait, ça apporte des idées nouvelles. Il faut aussi pouvoir faire intervenir les rêves, l'inconscient et les symboles, Freud et Jung ! J'aime la complexité. La psychanalyse est une des bases de mes films et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, elle a laissé une trace si profonde dans les arts, le cinéma, la peinture, la littérature. Je trouve que dans le cinéma d'aujourd'hui, la psychologie des personnages est souvent complètement abandonnée, simplifiée. On ne cherche plus la profondeur des êtres. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de faire peur au spectateur mais de raconter l'intériorité obscure de l'âme, des pensées. Les gens aiment explorer cette dimension secrète, c'est pour ça qu'ils aiment mes films.»(3)


Jérôme Gac


(1) arte.tv (16/03/2017)
(2) Libération
(27/12/2007)
(3) telerama.fr
(05/08/2016)


Du 18 octobre au 7 novembre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.


jeudi 27 septembre 2018

Tous les cinémas du monde



 













La Cinémathèque de Toulouse propose cette saison un grand voyage autour de la planète cinématographique.
 

La rentrée de la Cinémathèque de Toulouse est désormais placée sous le signe de la cinéphilie avec le retour annoncé chaque année du cycle «Les films qu’il faut avoir vus». Soit une sélection de dix-neuf longs métrages pour, en ce début de saison, «reposer quelques repères sur la carte du cinéma. Des films jalons, qui ont marqué leur époque, qui appartiennent à un tournant de l’histoire du cinéma, esthétique, technique… Pour cette présente saison, et malgré le côté patchwork de la proposition à première vue, un axe principal se dégage : le passage du cinéma à la modernité. Modernité de l’écriture qui bascule, avec les années atomiques, dans son rapport au monde et à la communicabilité, et qui touche, dans un réalisme renouvelé, à l’abstraction des idées», annonce Franck Lubet, responsable de la programmation de l’archive toulousaine.

La saison se poursuivra sur des teintes ibériques, avec l’invitation faite au réalisateur espagnol Álex de la Iglesia pour une rétrospective et une carte blanche, dans le cadre du festival Cinespaña, puis avec un week-end dédié aux films du Catalan Albert Serra, en sa présence. Après Dario Argento cet automne, un cycle dédié au western spaghetti sera à l’affiche cet hiver. Cinéastes atypiques, l’Allemande Ulrike Ottinger et le Français – d’origine américaine – Eugène Green viendront présenter leurs films. Dans le cadre de la saison France-Israël, quatre cinémathèques israéliennes (Jérusalem, Tel-Aviv, Holon et Haïfa) et le cinéaste Savi Gabizon présenteront en novembre une programmation de cinéma israélien, puis l’école québécoise du «cinéma direct», qui a révolutionné le cinéma documentaire dès les années cinquante, sera à l’affiche de la salle de la rue du Taur au printemps. 


Le cinéma américain sera à l’honneur avec la projection des films du producteur David O. Selznick (MGM, RKO) avant les fêtes, et ceux d’Anthony Mann et de Spike Lee en fin de saison. On attend en janvier une programmation d’une trentaine de films japonais peu connus, des années vingt à nos jours, avec des films de samouraïs, de yakuzas, de monstres, des comédies populaires et de la comédie musicale, qui sera suivie d’une rétrospective événement dédiée à l’immense Sacha Guitry (photo). Un cycle proposera une immersion passionnante dans «le cinéma colonial français, entre exotisme et propagande», où se côtoieront fictions ("L’Atlantide" de Georg Wilhelm Pabst, "Le Grand Jeu" de Jacques Feyder, "La Bandera" et "Pepe le Moko" de Julien Duvivier,"L’Homme du Niger" de Jacques de Baroncelli, etc.) et documentaires d’époque.


En partenariat avec la Cave Poésie, l’archive toulousaine confrontera les adaptations à l’écran d’œuvres de Georges Bernanos, et l’acteur Denis Lavant évoquera ses rôles emblématiques à l’occasion de la projection de ses films. Côté festivals faits maison, la deuxième édition d’Histoires de Cinéma est annoncée à l’automne avec des cartes blanches confiées à plusieurs artistes (la pianiste et compositrice Maud Nelissen, la monteuse Claire Atherton, l’écrivaine Maylis de Kerangal, le plasticien Claude Lévêque), et l’équipe d’Extrême Cinéma prépare la vingtième édition du rendez-vous incorrect de la Cinémathèque de Toulouse. Enfin, l’essentiel de la saison des ciné-concerts réunit, sous l’intitulé «Femmes à la caméra», des pionnières du cinéma muet, dont Germaine Dulac, Alice Guy, Lois Weber, Musidora.
 

Jérôme Gac
 


«Les films qu’il faut avoir vus», jusqu’au 3 octobre ;
Álex de la Iglesia, du 5 au 14 octobre ;
«Le cinéma colonial français», du 16 octobre au 7 novembre ;
Dario Argento, du 18 octobre au 7 novembre ;
Albert Serra, du 19 au 20 octobre ;
Festival Histoires de Cinéma, du 9 au 17 novembre.

 

La Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.

dimanche 2 septembre 2018

Groland en fête


 












La septième édition du Festival international du Film grolandais de Toulouse rend hommage à Christophe Salengro.

Groland n’aurait pas été Groland sans Salengro. Christophe Salengro est le célèbre président de la «Présipauté» créée pour les besoins d’une émission de Canal + en 1992. Ce pays limitrophe de la France est le fruit de l’imagination de Jules-Édouard Moustic et de sa bande : Salengro lui-même à qui la «Présipauté» doit son nom, Benoît Delépine, Gustave Kervern, Francis Kuntz, etc. Au fil des ans, l’émission épousant la forme d’un journal télévisé connaît un succès croissant et impose un style Groland devenu «une référence humoristique satirique, iconoclaste, utopique et joyeuse». Objet d’une véritable mythologie populaire (des autocollants portant la mention «GRD» fleurissent à l’arrière des voitures), le show télé fut alors un prétexte pour la création de diverses manifestations culturelles et votives, dont le Festival de Quend dans la Somme entre 2005 et 2009, puis le Fifigrot.

La septième édition du Festival international du Film grolandais de Toulouse rendra hommage à Christophe Salengro en projetant des courts métrages lors de la soirée de clôture et par le biais d’une exposition de portraits dessinés par Luc Weissmüler. Décédé en mars dernier, le comédien était devenu l’incarnation parodique de la présidence de la République française et prenait un traditionnel bain de foule lors de chaque édition du Festival de Quend et du Fifigrot.

Projections de courts et longs inédits, documentaires, sélections thématiques, expositions, performances, concerts, rencontres littéraires sont comme à l’accoutumée au menu du Fifigrot ! Pour cette passionnante et foisonnante édition, le septième jury chargé de remettre l’Amphore d’or du film le plus grolandais pioché dans la compétition sera présidé par le chorégraphe Philippe Decouflé – Christophe Salengro fut à maintes reprises l’interprète de ses créations. Ce dernier sera en fort belle compagnie puisque entouré notamment de l’actrice Andréa Ferréol, du réalisateur Marc Caro, de la dessinatrice Isa, etc. et toujours les indétrônables Jean-Pierre Bouyxou et Noël Godin – membres à vie du Grojury.

Le public est lui aussi invité à décerner son prix parmi ces films «d’esprit grolandais», ainsi qu’un jury constitué d’étudiants de l’École nationale supérieure d’Audiovisuel (Ensav). Parmi les huit longs métrages en compétition, on annonce en avant-première le film de Pierre Salvadori "En liberté", avec Pio Marmai, Adèle Haenel, Audrey Tautou, Vincent Elbaz, "The House that Jack built" de Lars von Trier, avec Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman, "Climax" de Gaspard Noé, etc. Plusieurs ouvrages concourent également pour le «Gro prix de littérature grolandaise». Des rencontres avec leurs auteurs sont organisées à cette occasion dans divers lieux de la Ville rose.

Pour ouvrir les festivités, on attend avec impatience l’avant-première de "I Feel Good" (photo), de Gustave Kervern et Benoît Delépine, avec Jean Dujardin et Yolande Moreau dans le rôle d’une responsable de communauté Emmaüs. Alors que son dernier long "Jahilya" est en compétition, Hicham Lasri présentera ses précédents films, carte blanche a été donnée au réalisateur Yann Gonzalez ("Un couteau dans le cœur"), et Luc Moulet est invité à l’Ensav à l’occasion de la projection de ses films. Une soirée sera dédiée à l’art de la pétomanie, et une autre permettra de revoir "la Grande bouffe" de Marco Ferreri.

Outre les traditionnelles sections Grol’art ou Groz’ical, plusieurs thématiques seront abordées : «Histoire(s) de famille» déclinera la folie à l’échelle familiale ("Roar", "Leolo", "Festen") ; «Bête et méchant» invite le photographe Arnaud Baumann et l’écrivain Pacôme Thiellement ; «Érotisme bavarois et helvétique» invite la performeuse Helena Patricio et l’écrivain Michel Froidevaux pour célébrer les trente ans des éditions HumuS ; «La révolte des poupées» propose notamment la projection de courts métrages de Walerian Borowczyk et des frères Quay ; «La banalyse» reviendra sur ce mouvement critique et expérimental créé au début des années quatre-vingt, et sera l’occasion d’inviter Yves Le Pestipon à propos de ses travaux portant sur la place Pinel à Toulouse, etc.

Toujours en partenariat avec le collectif Culture Bar Bars, les ciné-bistrots et des concerts gratuits sont proposés cette année dans une multitude de troquets : l’Esquile, le Taquin, le Communard, le Txus, la Mécanique des Fluides, le Dada, le Filochard, le Moloko, le Communard, The Petit London, le Café Ginette, l’Autruche, etc. Surtout, Le grovillage installé dans la cour de l’Ensav accueillera chaque soir moult animations grolandaises et autres concerts gratuits de musique «profondément barrée et décalée». Enfin, le port Viguerie servira de cadre au fameux Groconcert lors de la soirée du samedi 22 septembre. Bienvenue au Groland !

Jérôme Gac

Fifigrot, du 14 au 23 septembre, à Toulouse et hors les murs ;

Grovillage, à l’Ensav
, 56, rue du Taur, Toulouse.

jeudi 31 mai 2018

La famille, le pouvoir et le temps




















À la Cinémathèque de Toulouse, vingt films retracent la carrière du scénariste et réalisateur américain Francis Ford Coppola.
 

La rétrospective dédiée à Francis Ford Coppola à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse permettra de prendre la mesure d’une riche filmographie cachée derrière quatre films légendaires inscrits au panthéon de l’histoire du cinéma. Derrière ces immenses icebergs que sont la trilogie du "Parrain" et "Apocalypse Now", le cinéaste américain se révèle un artiste prolifique mais à la carrière chaotique. Après un premier long métrage en 1961, "Tonight for sure", il travaille auprès de Roger Corman jusqu'en 1968, notamment sous le pseudonyme de Thomas Colchart, comme assistant, directeur de la photographie, ingénieur du son, producteur ou réalisateur de seconde équipe pour des films d'épouvante et d'aventure. Réalisateur de "Dementia 13" en 1963, il signe également durant ces années le scénario de "Propriété interdite" de Sidney Pollack, "Paris brûle-t-il ?" de René Clément, "Reflets dans un œil d'or" de John Huston, etc. 

Entré dans le moule hollywoodien, il réalise pour la Warner Bros en 1968 "la Vallée du bonheur", comédie musicale avec Fred Astaire, et enchaîne avec une œuvre singulière, "les Gens de la pluie", qui met en scène la rencontre de deux solitudes, un homme et une femme perdus dans l’Amérique des motels et des grandes villes. Il devient alors la figure de proue du Nouvel Hollywood, cette génération de jeunes réalisateurs (Steven Spielberg, Brian De Palma, Martin Scorsese, George Lucas) prêts à conquérir la planète cinéma. Plus connue, la suite est retracée au fil de la rétrospective toulousaine : "Le Parrain" en 1972, avec notamment Marlon Brando, suivi d’un deuxième opus, puis "Apocalypse now" en 1979 et "le Parrain III" en 1990.
 

Si le cinéma de Coppola prend des formes aux styles très variés, et navigue sans cesse entre œuvres modestes et grosses productions, il s’appuie en permanence sur un matériau thématique lié au pouvoir et à sa transmission. En 1972, époque du Watergate, "Conversation secrète", avec Gene Hackman, est une réflexion politique sombre sur les écoutes téléphoniques organisées par le pouvoir. "Apocalypse now", d’après "Au coeur des ténèbres" de Joseph Conrad, est une vision froide et féroce des dérives du pouvoir, avec Marlon Brando en despote retranché dans une jungle coupée du monde et du temps. 

Le temps est une autre permanence du cinéma de Coppola, où le pouvoir est soumis à des enjeux de transmission, en particulier au sein de la famille comme dans les trois époques du "Parrain", ou dans "Tetro" (2009) confrontant deux frères vivant dans l’ombre d’un père chef d’orchestre et despotique. Le cinéaste manie souvent le flash-back avec acuité et place la question du temps au cœur de plusieurs de ses films : "Peggy Sue s’est mariée" (1986) fait revivre le passé de l’héroïne, "Dracula" (1992) est le portrait d’une créature immortelle, "Jack" (1996) est un enfant de 10 ans vivant dans le corps d’un homme de 40 ans, "l’Homme sans âge" (2007) est un septuagénaire qui rajeunit. Le cadre familial est omniprésent dans le cinéma de Coppola – dont la fille Sofia est cinéaste et le fils Roman est scénariste : "Outsiders" (1982) et "Rusty James" (1983), par exemple, ou encore "Tetro", s’intéressent à des fratries.

Enfin, si le cinéaste est l’auteur de deux comédies musicales ("la Vallée du bonheur", et "Coup de cœur" en 1982), la musique occupe une place primordiale dans plusieurs de ses œuvres, par exemple à travers le personnage du père chef d’orchestre de "Tetro", ou encore les jazzmen côtoyant des gangsters dans "Cotton Club" (1984). Et l’image la plus célèbre de sa filmographie n’est-elle pas le ballet des hélicoptères évoluant dans "Apocalypse now" au rythme de "la Chevauchée des Walkyries", de Richard Wagner ? En 1988, il s’intéressera de nouveau au conflit vietnamien dans "Jardins de pierre", où il filme un parterre de pierres tombales sur fond d’un trio de Franz Schubert.
 

Jérôme Gac
F. F. Coppola © collections La Cinémathèque de Toulouse

 

Rétrospective, du 1er au 30 juin ;
Exposition «Francis Ford Coppola, parrain du Nouvel Hollywood»,
jusqu’au 1er juillet.
 

À la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.

jeudi 26 avril 2018

L’homme sans avenir




















Avant le Festival international du film de La Rochelle, la Cinémathèque de Toulouse projette l’intégrale des longs métrages de fiction du cinéaste finlandais Aki Kaurismäki.
 
Avant le Festival international du film de La Rochelle où il sera célébré cet été, la Cinémathèque de Toulouse affiche une rétrospective dédiée à Aki Kaurismäki. Le cinéaste finlandais, dont on verra l’intégrale des longs métrages de fiction, rencontrera à cette occasion le public toulousain. Cinéphile, féru notamment de cinéma français, l’univers de la plupart de ses films peut être rapproché du réalisme poétique, courant qui fit les beaux jours des écrans hexagonaux dans les années trente et quarante. 


«J'ai découvert la France en 1965 avec mon père, à bord d'une voiture. Quand je tourne en France, je m'imprègne de son cinéma, celui de René Clair, Marcel Carné, mais aussi Jacques Becker et Jean-Pierre Melville. Malheureusement, je ne leur arrive pas à la cheville»(1), confesse-t-il. En 1990, il a filmé Jean-Pierre Léaud dans "J’ai engagé un tueur" (hommage à la Nouvelle Vague), puis de nouveau deux ans plus tard dans "la Vie de Bohème" tourné à Paris. En 2011, il faisait de la ville du Havre le décor de l’un de ses derniers films ("Le Havre").

Aki Kaurismäki, qui fut notamment critique de cinéma et écrivain, a d’abord placé son parcours de cinéaste sous le signe de la littérature en adaptant "Crime et châtiment", de Dostoïevski, son premier long métrage sorti en 1983. Il persiste en 1989 avec une adaptation pour la télévision des "Mains sales" de Sartre, puis signe "la Vie de Bohème", d’après Henri Murger, et s’attaque en 1999 à "Juha", chef-d’œuvre de la littérature finlandaise de Juhani Aho. 

En 1996, il déclarait: «Dans mon premier film, "Crime et châtiment", la caméra bougeait tout le temps, mais j’avais vingt-six ans, j’étais jeune et plein d’énergie. Avec le temps, je ne vois plus de raison de le faire, je n’arrive pas à me convaincre du bien-fondé de la chose. Il faut dire que c’est une très vieille caméra que j’ai rachetée à Ingmar Bergman quand il a renoncé au cinéma. Il a tourné "Fanny et Alexandre" avec elle, et bien d’autres films. Moi-même je m’en suis servi pour plus d’une trentaine de films, les miens et ceux que j’ai produits. C’est donc un appareil ancien. Comme moi, il est très fatigué et n’a pas envie de bouger. Si je ne vois pas de raison particulière de le déplacer – et il est très lourd ! –, je me contente donc de plans fixes. Après tout, Ozu n’a pas fait autrement. Dans ses films de jeunesse, il bougeait sa caméra alors que, dans ses derniers films, il ne l’a fait que pour un seul plan, dans "Voyage à Tokyo", et c’était d’ailleurs totalement inutile. Cela arrive parfois chez Hitchcock, que la caméra se rapproche des yeux d’un personnage pour faire comprendre au spectateur qu’il est en train de penser. Cela me paraît redondant. Avant de faire des films, j’ai lu ses entretiens avec Truffaut. Celui-ci lui demandait s’il y avait un sujet qu’il n’oserait pas aborder, et Hitchcock lui répondit que c’était "Crime et châtiment", un livre trop compliqué. J’étais jeune et je me suis dit que j’allais prouver le contraire au vieux. J’ai donc tourné "Crime et châtiment", et je me suis rendu compte que Hitchcock avait raison : c’était vraiment trop compliqué !»(2)

Deux trilogies dominent sa filmographie qui compte aujourd’hui dix-sept longs métrages de fiction. La «trilogie ouvrière» met en scène des figures taciturnes affairées au travail, interprétées par une troupe de fidèles acteurs : "Shadows in Paradise" (1986), "Ariel" (1988), "la Fille aux allumettes" (1989). À propos de sa direction d’acteurs, Kaurismäki assure : «Mon secret est de leur glisser quelque chose à l’oreille avant de tourner un plan, afin de créer de la confusion dans leur tête. Alors ils oublient de jouer ! Je trouve cela plus sympathique que la méthode de Bresson car cela leur laisse leur liberté. En général, je ne fais pas plus de deux prises. La première correspond à la répétition, et c’est celle que je garde le plus souvent. La seconde, c’est pour la sécurité. Cela coûte trop cher de faire beaucoup de prises.»(2)


Il se fait connaître au début des années quatre-vingt-dix, dans les festivals, avec deux comédies insolites dont les héros sont les Leningrad Cowboys, groupe de rock improbable qui rêve de l’Amérique ("Leningrad Cowboys Go America", "Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse"). Le cinéaste précise : «Pour moi, dans un film, le plus important c’est l’image. Ensuite viennent les dialogues, les effets sonores et la musique. Mais je suis particulièrement attentif au choix de la musique car elle peut transformer complètement une séquence. Quand je vais au mixage, je remplis de disques un sac en plastique et je fais des tas d’essais. Mon intérêt pour la musique a toujours été très grand. Après tout, j’ai réalisé sept ou huit clips de rock, un documentaire sur le groupe des Leningrad Cowboys et deux films de fiction avec eux. Avec "les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse", j’ai fait une erreur : je croyais que tout le monde avait lu la Bible. Comme ce n’est pas le cas, le film était incompréhensible !»(2)

Grand Prix au Festival de Cannes en 2002, "l’Homme sans passé" est suivi des "Lumières du faubourg", derniers volets d’une trilogie finlandaise entamée en 1996 avec "Au loin s’en vont les nuages" (photo). Cette «trilogie des perdants» suit les vicissitudes de personnages socialement décalés et en proie au chômage que l’on pourrait aussi bien croiser chez Chaplin ou Tati. Le réalisateur déclarait lors de la présentation au Festival de Cannes du premier opus de ce triptyque: «En Finlande, nous n’avons pas de studio, si bien que je me débrouille pour m’en construire un à chaque fois, dans de vrais lieux. C’est facile, car il y a tellement de faillites que l’on trouve partout des espaces vides. C’est ainsi qu’a été tourné "Au loin s’en vont les nuages". […] Je me suis dit que le chômage était trop peu traité par les cinéastes européens et que cela était honteux. Il me fallait parler de ce problème, sinon je n’aurais pu continuer à me regarder dans la glace le matin. […] J’ai voulu faire du néoréalisme en couleurs, avec de l’humour en plus car le style de De Sica est dépourvu d’humour. J’ai aussi ajouté du Ozu dans la manière de raconter. Après coup, je me suis rendu compte aussi de l’influence de Douglas Sirk et d’Edward Hopper. C’est l’idéalisme des films en couleurs avec Jane Wyman et Rock Hudson que l’on retrouve dans "Au loin s’en vont les nuages". Et où suis-je là-dedans ? (…) Je ne suis pas un cinéaste mais un shaker de cocktail !»(2), constatait-il, avant de prédire la fin du monde en 2021…


Jérôme Gac

 

(1) Le Figaro (17/05/2011)
(2) Positif


 

Rétrospective, du 28 avril au 31 mai, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.

Rencontre, vendredi 4 mai, 19h00, à la Cinémathèque de Toulouse.

Rétrospective, du 29 juin au 8 juillet, au Festival international du film de La Rochelle.


mercredi 11 avril 2018

Une histoire allemande



















Retour sur l’œuvre du cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder, à l’occasion d’une rétrospective de ses films à la Cinémathèque française.
 

Dès son premier film en 1969, "l'Amour est plus froid que la mort", Rainer Werner Fassbinder (photo) exhibe un précipité de toute son œuvre à venir: des personnages poussés à vivre ensemble dans un rapport de destruction à l’issue souvent fatale. Metteur en scène d’un théâtre contestataire et autodidacte, il porte à l'écran certaines de ses pièces dans un style clairement inspiré par le cinéma de Jean-Luc Godard. Avec sa troupe de l'Antiteater, il livre alors une dizaine de films en deux ans, jusqu’à "Prenez garde à la sainte putain". En 1972, il adapte "les Larmes amères de Petra von Kant" d’après l’une de ses pièces de théâtre écrite à la suite d’une rupture douloureuse avec son amant de l’époque. Sans concession, le résultat est un portrait du cinéaste au féminin.
 

En 1974, il puise son inspiration chez Douglas Sirk ("Tout ce que le cien permet") pour signer le magnifique "Tous les autres s'appellent Ali", où une sexagénaire tombe amoureuse d’un travailleur immigré beaucoup plus jeune qu’elle, attisant les regards suspicieux et les jugements cruels du voisinage autant que l’incompréhension de ses enfants. «D’après ses films, l’amour me semble être le meilleur, le plus insidieux et le plus efficace instrument de l’oppression sociale…», déclarait Fassbinder à propos de Sirk. L’année suivante, il réalise "Maman Kusters s'en va au ciel", et "le Droit du plus fort" décrit au sein d’un couple d’hommes la prédominance des rapports de classes sur les rapports sexuels.
 

En 1977, il bénéficie d’une production de grande envergure pour tourner "Despair", d’après Nabokov, avec Dirk Bogarde en émigré russe et industriel du chocolat dans l'Allemagne des années trente. Après avoir réalisé en 1980 pour la télévision la série "Berlin Alexanderplatz", située à l’époque de la République de Weimar, il plonge avec "Lili Marleen" au cœur de l’Allemagne nazie. La France le découvre en 1979, lorsque "le Mariage de Maria Braun" est couronné de plusieurs prix au Festival de Berlin. Hannah Schygulla y interprète le rôle-titre d’une femme tuant son amant après le retour de son mari dans l’Allemagne détruite par la Seconde Guerre mondiale. Dans "Lola, une femme allemande" (1981) et "le Secret de Veronika Voss" (1982), il porte un regard désenchanté et d’une redoutable férocité sur l'Allemagne des années cinquante, tout en poursuivant sa somptueuse série de portraits au féminin.
 

«Pour parler de son pays, Fassbinder décide de raconter le destin de femmes, mi putes mi déesses, sur le modèle de Marlene Dietrich. Fassbinder “invente” les nouvelles stars du cinéma allemand, ou plutôt ses propres stars intégrées à sa troupe : Hanna Schygulla, Barbara Sukowa, Ingrid Caven, Margit Carstensen… », rappelle Olivier Père. Adaptation du roman de Jean Genet, "Querelle" est présenté au Festival de Cannes en 1982, quelques semaines avant la mort du cinéaste par overdose, à l'âge de 37 ans. «Savoir s’il est mort trop jeune parce qu’il s’est dépensé, ou s’il s’est dépensé parce qu’il savait qu’il allait mourir jeune, c’est une question à laquelle je ne me risquerai pas à répondre», a dit un jour Hannah Schygulla.

Jouant dans une vingtaine de ses films dont elle ne fut jamais l’actrice principale, Ingrid Caven a été mariée au cinéaste pendant deux ans. Elle raconte comment «il n’avait aucun scrupule à manipuler les acteurs et les actrices pour arriver à ses fins. C’était un maître de marionnettes. Curieusement, tous les gens autour de lui en étaient très amoureux. Il arrivait à ce résultat par un chemin de séduction très tortueux. Il prenait les deux ou trois actrices principales du film et leur disait en aparté : “Tu es la plus belle du monde, la meilleure, ne l’oublie pas”. À une autre, il pouvait proférer les pires insultes. Fassbinder ne faisait pas dans le raffinement. J’ai toujours été surprise par l’absence de réaction des comédiens, mais il choisissait en priorité ceux qui étaient susceptibles de tolérer son rituel. Fassbinder disait que nous étions tous des porcs, c’était une analogie très importante pour lui. Il ne forçait pas les acteurs. Il possédait un charisme incroyable. On a dit qu’il n’était pas aimé, qu’il avait beaucoup souffert, mais c’est absurde. C’est plutôt le contraire. Fassbinder a souffert d’être trop aimé, il avait une famille qui le surprotégeait. Il y a toujours eu chez lui le fantasme d’être quitté. Il avait une furieuse envie de vivre»(1)


«Je cherche en moi où je suis dans l'histoire de mon pays», avouait Fassbinder, cinéaste et portraitiste de l’Allemagne d'après-guerre. Dans ce pays qui a choisi d’oublier les abominations du IIIe Reich pour se reconstruire, il est en réalité le seul cinéaste à affronter un siècle d’histoire. Il remonte ainsi jusqu’au XIXe siècle avec "Effie Briest" (1974), adapté du roman de Theodor Fontane et inspiré de la vie monotone d’une jeune fille mariée trop tôt à un baron. Et l’un de ses derniers films, "la Troisième génération" décrit la vie clandestine d’un groupe de jeunes terroristes désœuvrés dans le Berlin-Ouest de l’hiver 1979.


Pour Jean-Michel Frodon, «la puissance de son cinéma tient à ce que jamais un film – projets minimaux du début ou démarquages de superproductions hollywoodiennes plus tard – ne se résume à son thème, à son “sujet” : beaucoup du génie de Fassbinder tient à la manière dont, à partir de dispositifs narratifs souvent relativement simples, le sens et l’émotion prolifèrent en d’extraordinaires arborescences qui s’enchevêtrent avec les films précédents et seront rejoints par les suivants. De là, autant que de la non-chronologie et des interférences biographiques, vient le sentiment de flot tumultueux qui émane de son œuvre complète, complète bien qu’inachevée par nature».(1)


En 2000, François Ozon a porté à l’écran l’adaptation d’une pièce de Fassbinder jamais montée : "Gouttes d’eau sur pierres brûlantes" sera projeté à la Cinémathèque française dans le cadre d’une rétrospective consacrée aux films du cinéaste allemand. Selon lui, «l’œuvre de Fassbinder n’a jamais eu de réelle reconnaissance en Allemagne. On a préféré Wenders parce qu’il parlait d’exil, Herzog pour ses métaphores lointaines et poétiques du pouvoir allemand, Schlöndorff parce qu’il ne dérangeait personne avec ses adaptations littéraires. Fassbinder, lui, parle de ce qui fait mal. Je ne lui vois pas d’héritier.»(2) Ozon se souvient de la présentation de son film en Allemagne : «Je me suis surtout aperçu que je connaissais mieux son œuvre que la plupart des journalistes et des spectateurs. Il est oublié. Ce n'est pas un auteur étouffé, il n'est simplement pas regardé. Fassbinder est un cinéaste du “ici, maintenant, et hier”. Ses films tendent à l'Allemagne un miroir qui renvoie à un devoir de mémoire et de lucidité difficile à assumer.»(3)


Jérôme Gac



(1) Le Monde (22/11/1996)
(2) Le Monde (19/10/2004)
(3) Le Monde (17/04/2005)


Du 11 avril au 16 mai, à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris.

mardi 27 mars 2018

Politique fiction



 













Rétrospective des films de Costa-Gavras à la Cinémathèque de Toulouse.
 

Alors que parait en DVD le second volume de l’intégrale de ses films, la Cinémathèque de Toulouse projette l’intégralité des longs métrages de Costa-Gavras. Actuel président de la Cinémathèque française, le cinéaste rencontrera les cinéphiles toulousains dans la salle de la rue du Taur, ainsi qu’à la librairie Ombres Blanches, à l’occasion de la parution de ses mémoires intitulées "Va où il est impossible d’aller". Né en Grèce en 1933, Konstantinos Gavras quitte son pays et se forme à l’Idhec, à Paris. À la fin des années cinquante, il est l’assistant d’Yves Allégret, René Clair, Jacques Becker, Marcel Ophuls, René Clément, Claude Pinoteau, Agnès Varda, Jacques Demy. 

«À cette époque, les assistants réalisaient les castings, ce qui me vaut quelques rencontres, notamment les Montand. Sur un tournage de René Clément, je m'occupe des costumes de Simone et des cigarettes d'Yves. Invité aux week-ends d'Auteuil, je rencontre la bande : Semprun, Marker, Foucault, Debray... J'écoute ; bientôt je parle à mon tour. Impression grisante de participer à ce qu'il y a de plus noble en France, la réflexion qui mêle l'art et la politique», se souvenait Costa-Gavras dans le quotidien Libération (1). En 1965, il adapte "Compartiment tueurs", son premier long métrage dont l’héroïne est interprétée par Catherine Allégret, la fille de Simone Signoret, laquelle figure également au casting, tout comme Yves Montand. Le succès étant au rendez-vous, il tourne ensuite "Un homme de trop", drame situé dans le milieu de la Résistance et financé par l’un des producteurs de "James Bond": «J’ai abordé cette histoire comme un western mettant en scène des jeunes gens dans un décor campagnard, mais cette fois, le film n’a pas marché du tout»(2).

En 1969, il signe "Z" «qui est considéré comme le premier film politique français. Mais il est surtout né contre les colonels grecs. Ils venaient de prendre le pouvoir, moi j’avais le livre de Vassílis Vassilikós entre les mains et j’ai choisi de réagir avec ma caméra. C’est un film typiquement français mais l’histoire est grecque. Il est universel parce qu’il s’attache à expliquer le mécanisme d’une justice soumise au pouvoir et l’instauration d’une dictature qui en découle. Ce film sonnait comme une pétition contre le régime des colonels», racontait le cinéaste dans Les Inrocks (3). "Z" se fabrique «à toute vitesse, Semprun au scénario, Montand en Lambrakis, dit “Z”, le personnage central, assassiné. Le film est un phénomène mondial, notamment en Amérique. Les propositions affluent : j'aurais pu tourner "le Parrain", "Délivrance", "Né un 4 juillet"... (…) J'aime vivre et travailler à Paris, dans le quartier auquel j'ai été fidèle toute ma vie, la Sorbonne de la rue Saint-Jacques»(1), confesse-t-il. Le film reçoit deux prix à Cannes et deux Oscars. 


Dans la foulée, il tourne "l'Aveu" pour dénoncer les dérives du communisme, d'après le récit autobiographique d'Artur London, ancien vice-ministre des Affaires étrangères de Tchécoslovaquie. «L’objectif de ce film était de montrer que nous avions tous été séduits par cette idéologie. Même sans avoir appartenu au parti, ce projet de société était très attirant. Puis on s’est aperçu très vite que c’était une escroquerie. Nos meilleurs sentiments avaient été mis au service d’un mensonge. Nous avons eu une prise de conscience lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie. Puis le livre d’Artur London est sorti et il était formidable. Il racontait vraiment comment le système manipulait les consciences»(3). En 1973, il tourne "État de siège" montrant comment les États-Unis exercent une mainmise politique sur certains pays d'Amérique latine. Deux ans plus tard, "Section spéciale" revient sur un épisode sordide de collaboration du gouvernement de Vichy sous l’occupation.

En 1979, Costa-Gavras réalise "Clair de femme", film intimiste d’après Romain Gary: «Hormis Catherine Allégret et Simone Signoret dans "Compartiments tueurs", puis Irène Papas dans "Z", j’avais dirigé jusqu’alors peu d’actrices. J’avais alors dépassé la quarantaine et j’ai été sensible à ce roman et à cette histoire d’amour tout à fait différente entre des gens qui se rencontraient par hasard. Et puis, j’avais envie de travailler avec Romy Schneider et Montand en jouant de leur complicité, mais en allant à l’opposé de ce qu’ils avaient fait ensemble jusqu’alors. Pour Montand, j’ai cherché toutes ses fragilités. C’était un film d’une difficulté énorme, d’autant plus que j’ai tenu à garder les dialogues de Romain Gary. Or, il n’y a véritablement que deux personnages et ils ne parlent pas comme tout le monde. Ils délirent. Gary m’a dit qu’il ne voulait pas savoir ce qu’on faisait de ses livres depuis qu’il avait vécu une très mauvaise expérience avec les Américains. Par la suite, il a vu le film et m’a remercié d’avoir respecté ses dialogues.»(2) 


Unique film de commande de Costa-Gavras, "Missing" remporte la Palme d'Or à Cannes en 1982 et l’Oscar de la meilleure adaptation. Il décrit des faits réels : la disparition d’un journaliste américain à la suite du coup d’État de Pinochet contre le président chilien Salvador Allende, en 1973, avec le soutien des services secrets américains. Le cinéaste raconte : «Le Département d’État américain a édité un rapport de cinq pages décrétant que tout ce que racontait le film était faux, en affirmant avoir procédé à la même enquête et avoir abouti à des conclusions totalement opposées. Ici aussi, j’ai été accusé d’être anti-américain, mais c’est Universal qui m’a proposé de réaliser ce film, pas des gauchistes américains, et il a très bien marché aux États-Unis. Lou Wasserman, qui était alors le grand patron d’Hollywood, était démocrate et n’a produit ce film que pour dénigrer Richard Nixon sous le mandat duquel s’étaient déroulés ces événements. Mais "Missing" est venu à moi grâce à "État de siège", lequel avait déjà été financé à un tiers par Universal qui avait distribué auparavant "Section spéciale" sur le territoire américain et m’avait encouragé à le présenter sur les campus universitaires.»(2)

Costa-Gavras signe ensuite "Hanna K.", portrait de femme sur fond de conflit israélo-palestinien, puis "Conseil de famille", comédie dont les héros sont les membres d’une famille de perceurs de coffres. Tourné en 1988, "la Main droite du diable" est un thriller intimiste au cœur du Ku Klux Klan. Ours d’or au Festival de Berlin en 1990, "Music Box" confronte une avocate américaine défendant son père, réfugié hongrois accusé par la justice américaine de crime contre l’humanité. Après un retour en France pour tourner en 1993 "la Petite apocalypse", d’après l’œuvre de l’écrivain polonais Tadeusz Konwicki, il signe son quatrième film américain avec Dustin Hoffman et John Travolta, "Mad City", pour démonter les mécanismes de la manipulation de l'information et de l'opinion publique. 


En 2002, il porte à l’écran la pièce allemande "le Vicaire" devenue "Amen", immersion dans l’enceinte du Vatican pendant la Seconde Guerre mondiale, quand l’Église refusait d’entendre parler du génocide juif. Il filme ensuite le parcours désespéré d’un homme à la recherche d’un emploi : «Dans le roman policier de Donald Westlake dont je me suis inspiré pour "le Couperet", le personnage finit par devenir une sorte de tueur en série qui agit par plaisir, ce qui est dans la mentalité américaine. Moi, ce qui m’intéressait dans ce livre, c’est la souffrance de la classe moyenne qui conduit ce type à tuer pour trouver du boulot»(2). Enfin, il suit avec "Eden à l’Ouest" le voyage rocambolesque et tragique d’un émigré clandestin traversant la Méditerranée pour rejoindre Paris, puis s’intéresse au monde de la finance en 2012 pour "le Capital" – avec Gad Elmaleh en banquier – décrivant les mécanismes économiques et politiques qui régissent le monde.

Jérôme Gac

"Clair de femme" © collections La Cinémathèque de Toulouse 



(1) Libération (2/3/2005)
(2) L’Avant Scène Cinéma (5/1/2017)
(3) Les Inrockuptibles (24/1/2017)


Rétrospective, du 27 mars au 29 avril ;
Rencontre, vendredi 6 avril, 19h00.
À la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse
.
Tél. : 05 62 30 30 11.


Rencontre, samedi 7 avril, 17h00, à la librairie Ombres Blanches,
3, rue Mirepoix, Toulouse.


jeudi 8 février 2018

Lahaie d’honneur

















Brigitte Lahaie, Mademoiselle Kat, Jean-Pierre Bouyxou sont conviés au festival Extrême Cinéma, rendez-vous incorrect et indispensable de la Cinémathèque de Toulouse.


Concocté depuis deux décennies par la Cinémathèque de Toulouse, Extrême Cinéma est le rendez-vous annuel des amateurs de cinéma bis. Du ciné-concert d’ouverture à la longue nuit de clôture, le festival invite à une semaine de cinéma turbulent et incorrect, pour une virée en eaux troubles, aux marges de l’histoire officielle du septième art. Films maudits du patrimoine et classiques atypiques constituent le menu de cette manifestation qui célèbre le cinéma différent autant que les artistes mal aimés. 


Cette dix-neuvième édition donne carte blanche à quatre invités : l’artiste Mademoiselle Kat qui exposera également ses œuvres dans le hall de la Cinémathèque de Toulouse, Julien Bodivit, directeur artistique du Lausanne Underground Film Festival (LUFF), le journaliste et réalisateur Jean-Pierre Bouyxou, et Brigitte Lahaie. Icône de la pornographie française et égérie du cinéaste Jean Rollin, l’actrice devenue animatrice de radio rencontrera à cette occasion le public toulousain. Elle sera notamment présente lors de la nuit de clôture qui s’ouvrira par la projection des "Raisins de la mort".(photo)

Dans les colonnes de la revue Sortie de Secours, Brigitte Lahaie se souvenait en ces termes de sa rencontre avec le réalisateur: «Jean Rollin à cette époque tournait sous un pseudonyme des films pornographiques. J’ai tourné avec lui un de ces films pornographiques, et il a été je crois assez subjugué par ma présence. À la fin de ce tournage il m’avait dit “je vous rappellerai pour tourner dans un film traditionnel”. Bon, je reconnais qu’à l’époque je m’étais dit “oui c’est ça...”. En fait il m’envoyait de temps en temps une carte postale pour dire qu’il ne m’oubliait pas, et un jour il m’a contacté  pour le premier film qu’on a fait ensemble, "les Raisins de la mort". Ensuite il y a eu sans doute un de mes films préférés, "Fascination". Et puis "la Nuit des traquées", et ensuite deux autres films mais dans lesquels j’avais des plus petits rôles, "la Fiancée de Dracula" et "les Deux orphelines vampires". [...] C’est curieux parce qu’à l’époque je n’avais pas la sensation de la responsabilité que me donnais Jean. En plus il n’est pas un directeur d’acteur. C’est un metteur en scène qui mérite ce nom-là parce qu’il a son univers. Il a précisément dans la tête ce qu’il a envie de mettre sur l’écran. Mais il ne dirige pas les acteurs. On se sentait un peu perdu», racontait-elle en 2010.


Le cinéaste japonais Seijun Suzuki est à l’honneur avec deux films incontournables sortis dans les années soixante : "La Barrière de chair" et "la Jeunesse de la bête". Côté doubles programmes, un film de Russ Meyer est associé à "Spring Breakers" d’Harmony Korine autour du thème «Gang de filles», "Freaks" de Tod Browning croise "le Charlatan" d’Edmund Goulding pour «Arrête ton cirque», et "l’Expérience" d’Oliver Hirschbiegel fait écho à "Animal Factory" de Steve Buscemi pour «Basic instincts». Interdite au moins de 18 ans, la nuit de clôture affiche quatre longs métrages, des courts, des bandes-annonces, un ciné-concert, des surprises et la remise du prix du meilleur court métrage Extrême décerné par un jury d’étudiants toulousains.


Jérôme Gac


Du 9 au 17 février, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


jeudi 4 janvier 2018

La folie et le chaos




















La Cinémathèque française et la Cinémathèque de Toulouse consacrent une rétrospective au cinéaste américain Samuel Fuller.


Dix-huit films de Samuel Fuller et deux documentaires qui lui sont consacrés sont projetés à la Cinémathèque de Toulouse, au moment où, à Paris, la Cinémathèque française consacre également une rétrospective au cinéaste américain mort en 1997. Né en 1912, dans le Massachusetts, Samuel Fuller fut d’abord journaliste, spécialisé notamment dans les affaires criminelles, avant de se consacrer à l'écriture. Il publie son premier roman en 1935, puis cosigne dès l’année suivante plusieurs scénarios de séries B. Il est l’auteur de nouvelles et de romans dont beaucoup seront le point de départ de ses films, parmi les vingt-deux longs métrages qu’il réalisera jusqu’en 1988 pour le cinéma. Reporter de guerre et soldat dans la Big Red One, la Première division d'infanterie de l'armée américaine, pendant la Seconde guerre mondiale, Samuel Fuller apparaît en 1965 dans "Pierrot le fou", de Jean-Luc Godard, déclamant : «Un film est un champ de bataille : amour, haine, violence, action, mort, en un mot émotion».
 

Selon Jean-François Rauger, critique et directeur de la programmation de la Cinémathèque française, «Samuel Fuller est avant tout un formidable raconteur d'histoires. Mais les histoires qu'il raconte sont le produit d'une expérience biographique unique. Il est peut-être le dernier grand cinéaste américain dont la vie fut le carburant authentique d'une œuvre unique en son genre, une œuvre qui se nourrira des doutes d'un système avant qu'elle ne puisse plus y trouver sa place». En 1949, son premier long métrage, "J'ai tué Jesse James", contient déjà les éléments qui distingueront son cinéma, notamment la volonté de détourner les codes du genre et de désacraliser les mythes. En 1950, pour "J'ai vécu l'enfer de Corée", son troisième long métrage et son premier film de guerre, il s’inspire de son expérience au front et de son premier contact avec la mort. Puis en 1980, il revient sur son passé de soldat dans son film autobiographique "Au-delà de la gloire" (The Big Red One). En 1952, dans "Violences à Park Row", il puise dans son parcours de journaliste pour mettre en scène le milieu de la presse des années 1880.
 

Pour Jean-François Rauger, «il y a, dans les films de Fuller, la conscience d'une insuffisance essentielle de la fiction à produire l'exact sentiment du vrai. Elle sera donc marquée par une violence inédite, celle de situations extrêmes ou paradoxales, celle construite par un montage discordant. Il faut avec Fuller en passer par le choc pour atteindre une forme souterraine de douceur et, surtout, de vérité. Son premier film prend déjà à rebours certaines mythologies du western. Le douteux héros de "J'ai tué Jesse James" est justement l'assassin d'une légende, le traître qui abattit le célèbre hors-la-loi, objet d'un culte lui-même ambigu. Tout le cinéma de Fuller va provoquer chez le spectateur le sentiment d'une inversion des valeurs. C'est un art du paradoxe qui est aussi un art du chaos. Les figures humaines construites par le cinéma hollywoodien se retrouvent lestées de qualités contradictoires : le sudiste raciste devient Indien ("Jugement des flèches", 1957), le petit malfrat et la prostituée se révèlent patriotes ("Le Port de la drogue", 1953), l'intolérant xénophobe est aussi héroïque, tout comme le bourreau stalinien s'affirme particulièrement sentimental, détaché, contrairement à lui, de tout préjugé racial ("Porte de Chine", 1957). Pour l'antipathique héros des "Bas-fonds new-yorkais" (1960), venger son père est une manière d'effacer la veulerie de celui-ci, quête dérisoire à laquelle il sacrifie son humanité. L'escroc cynique prend conscience de l'amour qu'il porte à sa femme et renonce à son obsession ("Le Baron de l’Arizona", 1950). À cet égard, sans doute peut-on réduire le héros fullerien à un obsessionnel dont la quête s'inscrit au-delà de toute morale, au-delà du bien et du mal. La question de la culpabilité et de l'innocence est ainsi rendue singulièrement complexe notamment par la présence fréquente de personnages d'enfants, entre pureté et désillusion.»(1)
 

Cinéaste de la violence, de la folie et du chaos, Samuel Fuller s’attachera à exhiber inlassablement l'avidité, l'hypocrisie et le racisme, sans complaisance ni artifice. Adepte d’un cinéma simple et dépouillé de prouesses techniques, il a inséré dans certaines de ses fictions des séquences tournées lors de ses voyages. Comme le précise Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse, «les films de Samuel Fuller sont truffés de scènes choc, de trouvailles stylistiques et d’histoires secondaires qui viennent parachever par l’humour – souvent noir – une intrigue principale toujours originale, et qu’il mène d’une manière sèche, sinon brutale, comme la vie peut l’être. Frappante, violente, foudroyante ; la mort jamais très loin, saisissante et pourtant anti-spectaculaire (tout le contraire d’un Peckinpah pour citer un faux-ami). Un cinéma où la vie et la mort sont intimement liées».
 

Jérôme Gac
"Les Bas-fonds new-yorkais" © Wild Side


 (1) Cinémathèque française (2017)
 

Rétrospectives :
Du 3 janvier au 15 février, à la Cinémathèque française, 51, rue du Bercy, Paris.
Du 5 janvier au 8 février, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.