jeudi 24 janvier 2013

Kurosawa mon amour
















Le cycle «Japon années 50, l'âge d'or» affiche vingt films des maîtres du cinéma japonais à la Cinémathèque de Toulouse.
 

Les grands studios japonais ont connu leur âge d’or durant les années cinquante, comme à Hollywood. La Cinémathèque de Toulouse projette une sélection de vingt films des grands maîtres qui ont construit cet apogée du classicisme japonais. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie nippone du cinéma est ralentie par la destruction des infrastructures et par l’épuration des patrons de trusts. La médiocrité des films s’abat sur la production locale et la censure américaine s’organise au service de la démocratie. Les écrans sont inondés de films américains. Alors que la reconstruction et la relance de l’économie annoncent l’aube d’une nouvelle décennie, les films européens s’imposent sur les écrans: les cinéastes japonais seront durablement imprégnés des cinématographies anglaise, française et italienne.

En 1951, la signature de la paix entre les États-Unis et le Japon débouche, à partir de 1952, sur la fin de l’occupation américaine. Les studios s’imposent aussitôt dans les festivals européens : "Rashômon" d’Akira Kurosawa obtient le Lion d’or à Venise, Kenji Mizoguchi reçoit l’année suivante, en 1952, le Lion d’argent pour "la Vie d’Oharu, femme galante", et "la Porte de l’enfer" de Teinosuke Kinugasa est couronné du Grand Prix du Festival de Cannes en 1954. Et l’Europe découvre une cinématographie jusque-là inconnue. Les films étrangers sont moins nombreux dans les salles japonaises et, dans le même temps, les films s’exportent en Occident où la cinéphilie s’emballe jusqu’à la fascination. Des cinéastes occidentaux recyclent les chefs-d’œuvre nippons: "Les Sept samouraïs" et "Yojimbo" de Kurosawa deviennent "les Sept mercenaires" et "Pour une poignée de dollars", "la Vie d’Oharu" inspire Jacques Rivette pour "la Religieuse"…


Kurosawa signe un film par an durant cette décennie, dont deux adaptations de classiques européens: "Le Château de l’araignée", d’après "Macbeth" de William Shakespeare, et "Les Bas-fonds" d’après la pièce de Maxime Gorki. Peintre sensible de la famille agitée par les conflits de générations, Yasujiro Ozu termine sa carrière au début des années soixante. Il attendra 1958 pour tourner son premier film en couleur, "Fleur d’équinoxe" (photo), où les mœurs de la modernité se heurtent au poids des traditions familiales. 

Kenji Mizoguchi meurt en 1956, laissant derrière lui de multiples portraits de femmes tissés de plans séquences inondés de pure poésie. Mikio Naruse adapte de grandes œuvres de la littérature japonaises, filme le déchirement des couples et les drames familiaux sur fond de mutations sociales. Son regard pessimiste sublime les personnages de femmes émancipées. Cinéaste toujours méconnu mais prisé des festivals, Kon Ichikawa a débuté sa carrière en 1946 avant de signer ses chefs-d’œuvre humanistes sur la défaite de l’armée nippone à la fin de Seconde Guerre mondiale : "la Harpe de Birmanie" (1956) et "Feux dans la plaine" (1959).
 

Jérôme Gac
 

«Japon années 50, l'âge d'or», du 26 janvier au 28 février ;
Rencontre avec l'acteur Yoshi Oida, mercredi 20 février, 19h30.

La Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.

jeudi 3 janvier 2013

Touche pas à mon despote

















La Cinémathèque de Toulouse projette dix-huit films d’Ernst Lubitsch, pionnier et maître incontesté de la comédie américaine.

Lorsque Lubitsch meurt à Hollywood en 1947, à l’’âge de 55 ans, la télévision était sur le point d'émerger. À Berlin, il avait été comédien dans la troupe du fameux Max Reinhardt avant de jouer pour le cinéma. Après avoir réalisé quelques grosses productions ("Carmen", "Madame Dubarry", "Sumurun", "Anna Boleyn", "La Femme du pharaon", etc.), Ernst Lubitsch s’installe aux États-Unis en 1922. À la Warner, la comédie devient son domaine privilégié. Il y perfectionne son style jusqu’à l’arrivée du cinéma parlant. Il fait tourner Maurice Chevalier dans des adaptations d’opérettes venues d’Europe: "Parade d'amour" (1929) – l’une des premières comédies musicales 
, "le Lieutenant souriant" (1931), "Une heure près de toi" (1932) et "la Veuve joyeuse" (1934).

À la Paramount, où il est aussi producteur, il aligne une douzaine de chefs-d’œuvre époustouflants: des comédies pures et sophistiquées où la mécanique du rire, la liberté de ton et l’élégance du trait semblent héritées du génie de Feydeau. Ses films sont d’ailleurs souvent des adaptations de pièces de théâtre, et les portes sont au centre de son système de mise en scène. Lorsque la censure imposée par le code Hays s’applique à Hollywood dès les années trente, la «Lubitsch touch» connaîtra son apogée: sens du détail, art de la suggestion, maitrise du hors-champs et de l’ellipse. Ce que le grand écran ne peut plus montrer, Lubitsch le sublimera dans un jeu de cache-cache virtuose où le spectateur joue le premier rôle.


Il est l’auteur de savoureuses variations anticonformistes sur le thème du désir féminin, avec les stars de l’époque: Marlène Dietrich, Gene Tierney ou Carole Lombard. Et restera dans l’histoire du septième art pour avoir été le premier à capter le rire de Greta Garbo (photo), dans l’irrésistible "Ninotchka" (1939). À propos de "Haute pègre" (Trouble in Paradise), premier de ses chefs-d’œuvre américains réalisé en 1932, la cinéaste Catherine Breillat écrivait dans le quotidien Le Monde: «Le cinéma de Lubitsch, somme toute, est de la même teneur que ses personnages, puriste impeccable et précis sous couvert d’éternelle pirouette ; virevoltant de la prestidigitation du mot à celle de l’image dans un film pétillant qui se boit, l’air de rien, comme une coupe de champagne»
(1).

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il signe une «trilogie de la confession»: "Rendez-vous" (The Shop Around the Corner) tire son inspiration de la boutique de confection berlinoise de son père ; "Jeux dangereux" (To Be or not to Be) fait écho au "Dictateur" de Chaplin ; "le Ciel peut attendre" (Heaven can wait) est son dernier chef-d’œuvre. Dans la bible "50 ans de cinéma américain" de Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, on lit: «Film somme, "Heaven can wait" est à Lubitsch ce que "le Carrosse d’or" est à Jean Renoir, une réflexion d’un artiste sur son œuvre et un aboutissement de cette œuvre. Oscillant avec une délicatesse rare, à l’intérieur d’une même scène, entre l’émotion pudique, la satire farceuse et la chronique souriante d’une justesse qui sera inégalée, cette œuvre en dit plus long sur les rapports entre un homme et une femme que tous les pensums d’Antonioni (...)
(2)

La Cinémathèque de Toulouse offre l’occasion de flirter avec la «Lubitsch touch» en dix-huit films, dont deux muets de la période allemande. Tourné en 1916, "le Palais de la chaussure Pinkus" est l’une de ses premières réalisations. Il y interprète le rôle principal du petit vendeur de chaussure devenu patron d’un commerce. Le film sera précédé de "l’Orgueil de la firme", de Carl Wilhelm, autre film dans lequel Lubitsch est acteur. Le pianiste Mathieu Regnault assurera l’accompagnement musical de ces deux moyens métrages. Succès international, "Sumurun" (1920) est une fantaisie orientaliste empreinte de l’enseignement de Max Reinhardt. Il y reprend un rôle interprété sur scène, celui d’un bossu amoureux d’une danseuse saltimbanque. Deux musiciens ont été invités à accompagner la projection.


Jérôme Gac
 

photo : "Ninotchka"


(1) 20/12/2000
(2)
Nathan, 1995


Rétrospective, du 4 au 29 janvier 2013, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.