mardi 29 novembre 2022

De la musique et du cinéma muet

 











La Cinémathèque de Toulouse présente la première édition du festival Synchro dédié aux ciné-concerts.

Parce que le cinéma n’a jamais été muet, grâce à la musique notamment, la Cinémathèque de Toulouse propose avec le festival Synchro la redécouverte de films pas encore parlants à travers le regard de musiciens aux approches très différentes (du piano à l’électro en passant par le jazz et le rock). Pour Jean-Paul Gorce, qui a dirigé l’archive toulousaine de 1983 à 1997, avant d’en devenir le conservateur, «remettre en scène le Muet ce n’est pas lui donner la parole (qu’il n’a pas), c’est lui donner la musique qu’il a toujours eue dans la rythmique de son montage (et dans le spectacle de ses premiers temps).»

Parmi la trentaine de pépites du muet choisies pour cette première édition, "Nosferatu" (photo) de Murnau sera projeté à l’église du Gesù, pendant les improvisations de l’organiste et compositeur Thierry Escaich. Le trio pop Stereopop Orchestra accompagnera "Chantage", d’Alfred Hitchcock ; le pianiste Michel Lehmann interprètera des morceaux orientalistes de la musique classique pour habiller les images de "la Sultane de l’amour", de Charles Burguet et René Le Somptier. En ouverture du festival, la pianiste néerlandaise Maud Nelissen et le harpiste portugais Eduardo Raon se sont associés pour créer une musique sur les images de "Loulou" de Georg Wilhelm Pabst.

Au Théâtre Garonne, le spectacle "Scarecrow" réunit trois courts métrages de Buster Keaton et le compositeur Martin Matalon à la tête de l’Ensemble Multilatérale. Le compositeur Karol Beffa accompagnera au piano "la Bohème", de King Vidor, avec Lillian Gish et John Gilbert ; en clôture du festival, le guitariste et compositeur Alvaro Bello Bodenhöfer jouera sa musique pour le film "Figaro", de Gaston Ravel, avec le pianiste Vadim Sher et le violoncelliste Dima Tsypkin, etc.

Au Théâtre de la Cité, le Studio offre des cartes blanches aux adeptes de la musique 8-bits, DJs ou encore manipulateurs de machines pour expérimenter d'autres manières d'accompagner des films : le studio de répétition du théâtre accueille ainsi chaque jour un ciné-concert inédit pour enfants et adultes. En début de soirée, le hall de la salle de la rue du Taur accueille des scènes ouvertes, l'occasion d'assister à des expériences auditives et visuelles inédites, soit vingt minutes de concert suivies de vingt minutes de ciné-concert présentant des programmes issus des collections de la Cinémathèque de Toulouse, de la naissance des fleurs à l’invasion des martiens en passant par le burlesque à la Keaton... Post-punk, ambient, electro, jazz acoustique, impro swing, electro-noise accompagneront ainsi des films scientifiques, grattés directement sur pellicule ou encore peints à la main, pour apprécier une autre façon de percevoir la combinaison du son et de l’image.

Chaque après-midi, le public pourra aussi découvrir dans le hall de la Cinémathèque de Toulouse une projection en boucle de films en 9,5 mm, le plus ancien format du cinéma d’amateur commercialisé dès 1922 par Charles Pathé («Pathé-Baby, le cinéma chez soi»). Une exposition d’affiches Gaumont de l’époque du muet issues des collections de la Cinémathèque de Toulouse est également visible dans le hall de la salle de la rue du Taur. Synchro se déploie également dans plusieurs lieux du territoire de la Métropole et de la région Occitanie ; à Toulouse, le festival investit la Cinémathèque de Toulouse, mais aussi le musée Paul-Dupuy, le centre culturel Alban-Minville, etc.

Jérôme Gac
 

Du 30 novembre au 4 décembre à Toulouse et Blagnac ;
Du 8 au 16 décembre à Muret, Castelmaurou, Grenade, Perpignan, etc.

La Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.


jeudi 20 octobre 2022

«Le professeur»





Une rétrospective est dédiée à Francesco Rosi à la Cinémathèque de Toulouse.

La rétrospective que consacre la Cinémathèque de Toulouse à Francesco Rosi inclut trois films de Luchino Visconti ("Bellissima", 1951 ; "Senso", 1953) dont il fut l’assistant à ses débuts. Rosi est également l’auteur du script de "la Terre tremble" (1947), dont il a dessiné certains plans. Il coréalise ensuite "Kean", avec Vittorio Gassman. Tournés en 1958, ses deux premiers longs métrages, "Le Défi" – primé à Venise – et "I Magliari", sont influencés par les films noirs d'Elia Kazan, de Jules Dassin et de John Huston. C'est avec "Salvatore Giuliano" qu'il connaît le succès en 1961, tant en Italie qu'à l'étranger, œuvre dans laquelle son style objectif et clair dans l'approche des réalités politiques et sociales se révèle nettement. 

Critique et historien du cinéma, Jean A. Gili précise: «Décrivant d’abord les méfaits de la camorra à Naples ("Le Défi", 1958), dont il suit ensuite les ramifications en Allemagne avec "Profession magliari"/"I Magliari" (1959), il élargit progressivement ses investigations à la Sicile pour en montrer la douloureuse soumission à la mafia ("Salvatore Giuliano", 1961), puis, revenant à Naples, il étale au grand jour la collusion entre les hommes politiques et les entrepreneurs capitalistes dans la mise à nu d’un problème – la spéculation immobilière – dont les enjeux ne sont pas seulement italiens ("Main basse sur la ville", 1963, Lion d’or à Venise).»(1) 

Très imprégné par son Sud natal, Francesco Rosi tourne fréquemment dans le Mezzogiorno. Le cinéaste confesse: «Je suis né à Naples, j’appartiens au Sud, j’ai toutes les contradictions d’un homme du Sud et d’un homme qui a eu le privilège d’une éducation bourgeoise: le privilège d’une culture dans un monde sub-culturel. Ces contradictions s’expriment dans un conflit très simple et en même temps extrêmement complexe et dramatique: le conflit entre les sentiments et la passion d’une part, la raison d’autre part. Je crois que je suis un typique représentant de ce conflit. Mon univers est un univers d’émotions et de passions, avec tous les défauts, toutes les limites et aussi toutes les généreuses vertus de la passion. Mais en même temps, j’aspire à la raison, à la possibilité de lire les sentiments presque de façon contemporaine à leur naissance ; je cherche à exposer la passion à la lumière d’une analyse rationnelle.»(1) 

Les œuvres de Francesco Rosi naissent généralement d'une recherche documentaire approfondie et d'un scénario écrit en collaboration avec des écrivains, notamment avec Tonino Guerra. Avec ce dernier, il signe ses films les plus marquants: "Les Hommes contre" (1970) qui décrit la folie meurtrière de la Première Guerre mondiale ; "l'Affaire Mattei" (photo) qui s’intéresse aux luttes internationales pour le contrôle du pétrole et remporte la Palme d’or au festival de Cannes, en 1972 ; "Lucky Luciano" (1973) qui suit la mise en place des réseaux de trafic de drogue entre l’Europe et les États-Unis ; "Cadavres exquis" (1976) qui dévoile «les rouages d’un complot d’État pour mieux asseoir l’autorité hors de tout contrôle démocratique», note Jean A. Gili.

Dans chacun de ces films, une personnalité historique est prétexte à l’analyse de la vie politique italienne pour en démasquer les compromissions. Selon Jean A. Gili, «Francesco Rosi représente une des figures les plus hautes de l’artiste profondément engagé dans les problématiques de son temps. Témoin de son temps, Rosi est sans doute le cinéaste le plus radical dans son approche civique et politique de la réalité italienne, dans sa volonté de montrer l’inextricable connivence entre pouvoir officiel et pouvoir occulte, entre organisation institutionnelle et structure mafieuse.»(1)

Ses origines hispaniques et les trois siècles de présence espagnole à Naples ressurgissent dans "le Moment de la vérité" (1964), évocation de la tauromachie dans l’Espagne franquiste, ainsi que dans "Carmen" (1984) de Bizet, et dans "Chronique d'une mort annoncée" (1987), d’après l'œuvre de Gabriel García Márquez. Dans le Sud de l’Italie, il tourne "Le Christ s’est arrêté à Eboli" en 1979, "Trois frères" en 1981, «qui n'est ni l'adaptation d'un livre ni le fruit d'une réflexion sur un dossier politique»(2), et "Oublier Palerme" en 1990, d’après Edmonde Charles-Roux. 

«Axés sur l'histoire contemporaine, ils sont plus ouverts que les films précédents de Rosi aux émotions intimes de ses personnages. L'acuité de ses analyses sociales, politiques et économiques s'y allie à une exploration des destinées individuelles. Tiré d'un roman autobiographique de Carlo Levi, "le Christ s'est arrêté à Eboli" est le seul film de Rosi qui évoque l'ère mussolinienne du fascisme. Exilé dans une petite ville du Sud à cause de son opposition au régime, un bourgeois du Nord, de culture rationaliste (interprété par Gian Maria Volonté), y découvre un monde qu'il ignorait, où règnent mysticisme et irrationnel. Pas d'intrigue linéaire ici, mais un journal de voyage presque ethnologique, quête d'un intellectuel qui se sent proche de la souffrance des pauvres. Au début, une phrase de Carlo Levi (“Le Christ n'est jamais arrivé jusqu'ici, ni même le temps, ni l'âme individuelle, ni l'espoir, ni la liaison entre la cause et les effets, la raison et l'histoire”) apparaît comme la clé de tous les films de Rosi. Le cinéaste aura cherché pendant toute sa carrière à mettre en relation les causes et les effets»(2), assure Jean-Luc Douin.

Le cinéaste déclarait à ce sujet: «Si l’on fait une enquête à propos d’un fait divers, on s’aperçoit que ce fait divers offre la possibilité de conduire une analyse profonde sur ses raisons, ses causes, ses conséquences. C’est cela qui a commencé à m’intéresser et j’estime que cette tentative de mettre en relation les causes et les conséquences d’un fait peut être considérée comme mon univers autonome d’auteur, mon style, ma recherche»(3). En 1992, Francesco Rosi dénonce dans "Naples revisitée" les ravages des détournements de fonds, de la spéculation immobilière et de la drogue. En 1997, il adapte "La Trêve" de Primo Levi, récit du retour à Turin d’un groupe de survivants du camp d’Auschwitz. 

Jean A. Gili constate: «Auteur de ses sujets, il a su s’appuyer sur des romans et des témoignages, adaptant les contes du Napolitain Basile, les récits autobiographiques du Sarde Emilio Lussu ou des Turinois Carlo Levi et Primo Levi, s’appuyant aussi sur le roman de politique fiction du Sicilien Leonardo Sciascia et s’ouvrant à des influences étrangères avec Georges Bizet et Prosper Mérimée, Gabriel García Márquez, Edmonde Charles-Roux. (…) Par certains aspects, Francesco Rosi, que ses amis surnomment affectueusement “le professeur”, s’est érigé en conscience morale du cinéma italien, en artiste qui a passé sa vie à se battre pour ses idées.»(1)

Jérôme Gac


(1) cinematheque.fr
(juin 2011)
(2) Le Monde (25/07/2008)
(3) lacinemathequedetoulouse.com


Rétrospective, du 18 au 27 novembre ;
Journée d’étude, mardi 8 novembre, de 9h00 à 18h00.

À la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10. 


vendredi 7 octobre 2022

Mad Max et les femmes fatales


 
Nicholas Ray, Georges Franju, Francesco Rosi, Patrick Dewaere seront cette saison à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse.

Cet automne, dans le cadre de Cinespaña, la Cinémathèque de Toulouse s’intéresse au cinéma policier espagnol avec une sélection de douze films réalisés depuis 1950. Le festival invite également le Portugais João Pedro Rodrigues, dont on verra les courts et longs métrages. De nombreux cinéastes seront à l’honneur cette saison dans la salle de la rue du Taur, avec des rétrospectives dédiées à l’Italien Francesco Rosi, au Japonais Yoshimitsu Morita, aux Américains George Miller et Nicholas Ray, aux Français Georges Franju (photo) et Med Hondo. 

On annonce également la venue de la documentariste mexicaine Tatiana Huezo (dans le cadre du festival Cinélatino), de l’Espagnole Isabel Coixet, de l’Américain Gus Van Sant, des Français Dominique Cabrera et Alain Guiraudie, et des hommages seront rendus à Jean-Louis Comolli, disparu au printemps dernier, et à l’acteur Patrick Dewaere. Une programmation sera dédiée aux réalisatrices portugaises (dans le cadre de la Saison France-Portugal 2022), et il sera question de cinéma yougoslave et de thriller coréen. 

Cet hiver, la Cinémathèque de Toulouse proposera de dérouler l’histoire du cinéma à travers le filtre des effets spéciaux, et les femmes fatales seront à l’affiche. Au printemps, le cinéma camp scintillera de mille feux, et un cycle sera consacré aux films qui décrivent le fonctionnement des médias. Avant une nouvelle édition du cinéma en plein air, une sélection de films se penchera sur les représentations de l’Amérique à travers le regard de cinéastes non américains (Demy, Wenders, Leone, etc.).

On annonce à l’automne la première édition du festival Synchro, manifestation qui met à l’honneur le cinéma muet à travers le regard et le talent de musiciens aux approches très différentes (du piano à l’électro en passant par le jazz et le rock), avec notamment "Loulou" de Pabst en ouverture, "La Ruée vers l’or" de Chaplin accompagné par l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, ou encore "Nosferatu" de Murnau, avec Thierry Escaich à l’orgue. 

Quant à l’équipe d’Extrême Cinéma, elle prépare la vingt-quatrième édition du festival incorrect de la Cinémathèque de Toulouse, avec sa dose habituelle de Cinéma Bis, films d’exploitation, blockbusters déviants et autres films cultes ou totalement oubliés… mauvais goût assuré ! À l’approche des fêtes de fin d’année, un festival dédié au jeune public propose des ateliers, des séances accompagnées et des rencontres. 

Dans le hall de la salle de la rue du Taur, cinq expositions se succèderont au fil des mois: un panorama détaille actuellement le fameux «esprit Positif», à l’occasion des 70 ans de la revue ; des affiches de Gaumont à l’époque du muet seront présentées à l’occasion du festival Synchro ; cet hiver, une immersion dans l’envers du décor dévoilera la fabrication des effets spéciaux ; le mime Marceau sera célébré au printemps, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Marcel Marceau ; les affiches de Guy-Gérard Noël, des années 1940 jusqu’à la fin des années 1960, seront exhibées au cours de l’été.

Jérôme Gac
"Les Yeux sans visage" © La Cinémathèque française


«Spanish noir» et J.P. Rodrigues, dans le cadre de Cinespaña, jusqu’au 16 octobre ;
Festival Synchro, du 30 novembre au 4 décembre ; etc…

À la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.

 

lundi 19 septembre 2022

Viendez au Groland !


Le Fifigrot, Festival international du Film grolandais de Toulouse, invite Bouli Lanners et célèbre les 30 ans de Groland.

La «Présipauté» de Groland a vu le jour en 1992, sur Canal +. Ce paradis fiscal limitrophe de la France est le fruit de l’imagination de Jules-Édouard Moustic et de sa bande: Christophe Salengro (1953-2018) à qui la «Présipauté» doit son nom, Benoît Delépine, Gustave de Kervern, Francis Kuntz, etc. Au fil des ans, l’émission épousant la forme d’un journal télévisé connaît un succès croissant et impose un style Groland devenu «une référence humoristique satirique, iconoclaste, utopique et joyeuse». 

Objet d’une véritable mythologie populaire (des autocollants portant la mention «GRD» se multiplient à l’arrière des voitures), le show télé fut alors un prétexte pour la création de diverses manifestations culturelles et votives, dont le Festival de Quend dans la Somme, entre 2005 et 2009, puis le Fifigrot. 

La onzième édition du Festival international du Film grolandais de Toulouse célèbrera donc comme il se doit le trentième anniversaire de Groland, lors d’une grande parade qui traversera le centre-ville en musique. Pour l’occasion, un hommage sera rendu au président Salengro, suivi de la projection de "C’est arrivé près de chez vous". Comme chaque année, projections de courts et longs inédits, documentaires, concerts, théâtre, expositions, rencontres littéraires, etc. sont au menu de cette édition. 

Côté ciné, les films en avant-première, les raretés et pépites décalées ou à l’humour déjanté sont évidemment au rendez-vous. L’Amphore d’or du film le plus grolandais pioché dans la compétition sera décernée par l’acteur Bouli Lanners, qui s’est également vu confier une carte blanche. Le public est invité à décerner son prix parmi ces films «d’esprit grolandais», et un jury constitué d’étudiants de l’Ensav attribuera le sien, sans oublier le fameux Prix Michael Kael.

Parmi les neuf longs métrages en compétition lors de cette édition, on attend notamment les nouveaux films de Jerzy Skolimowski, Ulrich Seidl, Sébastien Marnier, Quentin Dupieux ("Fumer fait tousser", avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Alain Chabat, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, etc.). Palme d’or à Cannes, "Sans Filtre" (Triangle of Sadness) de Ruben Östlund sera présenté en clôture des festivités. Neuf ouvrages de critique sociale, joyeuses, impertinentes concourent également pour le Gro Prix de littérature grolandaise.

Outre les traditionnelles sections Gro l'Art, Gro Zical, Midnight Movies ou encore Made in Ici, le Fifigrot affiche cette année une sélection de films sur le thème «Jeunesses enragées», ou encore la présence de Christophe Bier, documentariste, journaliste spécialisé dans les «mauvais genres» et romancier, qui présentera trois films. Quant à la programmation «La Grolandaise est-elle une femme comme les autres?», elle regroupe des expositions, une conférence et des projections. Il s’agira de célébrer aussi les «150 ans de La Pataphysique»: «la Pataphysique étant la colonne vertébrale de la réflexion intellectuelle et de la recherche scientifique Grolandaise», divers événements et rencontres ont été concoctés par l’équipe du Fifigrot, en particulier l’inauguration de la première ligne «Chaise à porteurs’lib» (en partenariat avec Tisséo !).

Installé dans l’enceinte du Port Viguerie, le Gro Village accueille comme de coutume diverses animations grolandaises, au bord de la Garonne, notamment des spectacles, des concerts et des projections de films en plein air. Enfin, la traditionnelle programmation Ciné Bistrot, en partenariat avec le collectif Bar Bars, propose une sélection de courts métrages dans plusieurs bistrots de la ville. Bienvenue au Groland !

Jérôme Gac
"Sans Filtre" © Fredrik Wenzel / Plattform Produktion
 

Fifigrot, du 19 au 25 septembre, à Toulouse et L’Union ;

Grovillage, de 14h00 à 23h00 (sauf lundi à partir de 18h00, samedi de 11h30 à minuit, dimanche de 11h30 à 22h00), au Port Viguerie, rue Viguerie, Toulouse.

 

mercredi 10 août 2022

Un prophète


 

 

 

 

 

 

 


Le centième anniversaire de la naissance de Pier Paolo Pasolini est marqué par la ressortie dans les salles de quelques uns de ses films et par une exposition présentée par la Cinémathèque de Toulouse à la librairie Ombres Blanches.

Poète, écrivain, cinéaste, acteur, peintre, journaliste critique et polémiste, Pier Paolo Pasolini aurait eu cent ans cette année. Restaurés pour l’occasion, plusieurs de ses films sont ressortis dans les salles obscures cet été. Conçue par la Cinémathèque de Toulouse, une exposition présentée à l’Atelier de la librairie Ombres Blanches évoque son parcours de cinéaste avec une sélection d’affiches, des photos et documents rares. Ombres Blanches invite également René de Ceccatty, biographe de Pasolini et traducteur de ses textes, Laurent Feneyrou, qui présentera son livre "Biagio Marin & Pier Paolo Pasolini: une amitié poétique" (Éditions de l’Éclat), et Hervé Joubert-Laurencin qui vient de publier "Le Grand Chant, Pasolini poète et cinéaste" (Éditions Macula). 

Dans son ouvrage "Portrait du poète en cinéaste" (Cahiers du Cinéma), paru en 1995, Hervé Joubert-Laurencin voit en Pier Paolo Pasolini «une voix morale et prophétique de la nation». Marquée par la recherche formelle et l'engagement politique, la production de Pasolini s’étale sur une trentaine d'années d'activité, au cours desquelles il aura provoqué de violentes controverses: interrogeant une Italie en pleine mutation économique, ses poèmes, ses romans, ses essais, son théâtre, ses films et ses nombreuses chroniques ont alors déchaîné la critique bourgeoise, la censure chrétienne et la menace néo-fasciste. 

Pasolini est l’auteur d’essais, de récits de voyages ("L'Odeur de l'Inde", 1962), de pièces de théâtre ("Orgia", 1968 ; "Caldéron" et "Affabulazione", 1973) et de recueils de poésie, notamment les poèmes en dialecte frioulan "Poésie à Casarsa" (1941-1942). Ses deux premiers romans ("Les Ragazzi", 1958 ; "Une vie violente", 1959) racontent sa fascination et son attirance pour les jeunes hommes, petites frappes des faubourgs romains au parler si particulier qui lui rappelle la langue du Frioul maternel. Défenseur ardent du sud de l'Italie, sa prose de «combattant» à la pensée paradoxale fait périodiquement la Une du Corriere della Sera, où il signe une tribune. Également critique littéraire dans Il Tempo Illustrato, il confessait: «Je suis glacé, méchant. Mes mots font mal. Le besoin obsédant de ne pas tromper les autres, de cracher tout ce que je suis, aussi». Ces textes, traduits par René de Ceccatty, ont été réunis et publiés sous le titre "Descriptions de descriptions".

Ce dernier constate: «C’est le cinéma qui lui a donné une gloire mondiale ; son activité de polémiste qui en a fait un acteur de premier plan de la vie politique italienne et un modèle (ou un ennemi) pour les intellectuels, mais c’est son œuvre poétique qui l’a inscrit définitivement dans l’histoire de la littérature italienne et mondiale, celle d’un poète “civil” qui intervient dans la vie publique, dans la tradition de Dante et de Leopardi. Son attachement à une société préindustrielle et paysanne, aux langues régionales, a créé des malentendus. Pendant longtemps, cela l’a éloigné des lecteurs et des cinéphiles, mais peu à peu on revisite son œuvre en profondeur et on la dissocie des caricatures. "Pétrole", son roman posthume, prend, avec le recul, une dimension de chef-d’œuvre, tant pour sa perspicacité visionnaire sur la corruption et la décadence d’une société dominée par l’argent et le cynisme, l’hypocrisie moraliste et la chiennerie, que pour son audace stylistique et structurale.»(1)

Sa carrière littéraire est déjà très avancée lorsqu'il se lance dans le cinéma. Après avoir collaboré à l’écriture de quelques scénarios, il tourne en 1961 son premier film, "Accattone", décrivant la vie d'un jeune proxénète romain dans un bidonville où règne l’inactivité et la faim. Pays encore rural, l’Italie découvre alors l'électroménager, la télévision, la voiture individuelle, mais aussi le chômage et le sous-prolétariat. «Lincoln a aboli l'esclavage, l'Italie l'a rétabli», affirme l’un des protagonistes du film qui dévoile le «miracolo economico» du point de vue des laissés-pour-compte. 

René de Ceccatty raconte: «Quand il tourne "Accattone", il est déjà violemment attaqué pour ses romans jugés obscènes et ses articles, notamment une diatribe contre le pape Pie XII. Évidemment, il y a de sa part une volonté de provocation en filmant un petit délinquant et en lui faisant parcourir toutes les étapes de la Passion du Christ. Mais c’était une façon de montrer que, pour lui, résidait là le vrai christianisme, dans la souffrance des pauvres»(2). De son côté, son amie, l’écrivaine italienne Dacia Maraini déclare à l'AFP: «Toute sa vie il a cherché un monde archaïque, pré-industriel, pré-mondialisé, paysan, qu'il jugeait innocent». 

Dans "Mamma Roma", il offre un rôle inoubliable de mère à Anna Magnani, puis fait jouer son ami Orson Welles dans "La Ricotta", en 1963 – la scène finale parodiant la crucifixion de Jésus est la première grande provocation du cinéaste. Il tourne l’année suivante "l'Évangile selon Matthieu", dans lequel sa mère interprète Marie. Lecteur admiratif de Freud, Marx et des Écritures, il assure que l'histoire de la passion est «la plus grande qui soit» et les textes qui la racontent sont «les plus sublimes qui soient». Puis, il réalise "Enquête sur la sexualité", où il interroge des Italiens de tous les milieux au sujet de leur vie sexuelle. Explorant la question du poids de la fatalité dans les tragédies antiques, il se lance dans un triptyque grec autour de trois mythes: "Œdipe Roi" (1967) de Sophocle, "Médée" (1970) d'Euripide, avec Maria Callas et Laurent Terzieff, et "Carnet de notes pour une Orestie africaine" (1968-1970). 

Dans le parabolique "Théorème" (1968), il met à l’épreuve une famille bourgeoise pervertie par la visite d’une figure christique incarnée par Terence Stamp. Pasolini confesse alors: «J'incline à un certain mysticisme, à une contemplation mystique du monde, c'est entendu, mais c'est par une sorte de vénération qui me vient de l'enfance, l'irrésistible besoin d'admirer les hommes et la nature, de reconnaître la profondeur là où d'autres ne perçoivent que l'apparence inanimée, mécanique, des choses. J'ai fait un film où s'expose à travers un personnage toute ma nostalgie du mythique, de l'épique et du sacré.»

Avec sa Trilogie de la vie, il organise ensuite un dialogue entre sa démarche intellectuelle et les cultures populaires en puisant du côté des contes, des mythes et légendes: "Le Décaméron" (1971) d’après Boccace, "Les Contes de Canterbury" (1972) d’après Geoffrey Chaucer, et "Les Mille et une Nuits" (1974) mettent en scène des personnages du peuple et des situations érotiques, sur fond de musiques traditionnelles. Dans "Salò ou les 120 Journées de Sodome" (photo), tourné en 1975, d’après Sade, le sexe n’est plus un moyen de libération comme c’est le cas dans la Trilogie de la vie, mais devient un instrument d’asservissement. 

À cette époque, Pasolini s’inquiète de l’expansion du monde marchand, dont il prophétise les monstruosités. Cette année-là, dans le Corriere della Sera, il décrit un pouvoir consumériste «capable d'imposer sa volonté d'une manière infiniment plus efficace que tout autre pouvoir précédent dans le monde». Il ne voit plus rien de joyeux dans cette période de libération, de «fausse permissivité», dit-il, où le sexe devient «triste, obsessionnel», où le corps est réduit «à l'état de chose». Cette lassitude le conduit à son dernier film, un scénario sur lequel travaillait son ami Sergio Citti et qu'il reprend à son compte. 

Pour Ninetto Davoli, son acteur fétiche qui fut son amant de 1964 jusqu’à leur rupture en 1973, «la Trilogie de la vie était l'ultime espoir d'une période gaie. Il avait pris conscience que le monde changeait de manière dramatique. Dans "Le Décaméron", il entrait déjà en rébellion contre la société de consommation, mais tentait de dédramatiser le constat. Dans "Salò", il n'essaie plus. Pour lui, c'était la fin d'un monde. Les gens n'arrivaient plus à se regarder en face.» Sorti après sa mort, "Salò ou les 120 Journées de Sodome" provoquera un scandale et sera interdit pendant plusieurs mois en Italie. Dans son ultime interview télévisée, accordée à Philippe Bouvard en octobre 1975, Pasolini déclare: «Scandaliser est un droit, être scandalisé est un plaisir». 

Pasolini est assassiné quelques jours plus tard, sur une plage d'Ostie, près de Rome. Condamné l'année suivante, un jeune prostitué de 17 ans affirme s'être battu avec sa victime car il refusait ses avances sexuelles ; il reviendra des années plus tard sur cette version qui n’avait convaincu personne. Son amie la comédienne Adriana Asti déplorait en 2013: «Tout ce qu'il redoutait est arrivé: la globalisation, le règne de la télévision, la surconsommation. Tout. Son œuvre lui a survécu, mais les jeunes ne la connaissent pas. Ils connaissent à peine Visconti ! L'Italie est éteinte, fatiguée, la culture est le dernier de ses problèmes...».(3)

Selon René de Ceccatty, «Pasolini est devenu une icône, comparable à Rimbaud. Sa mort violente en a fait un martyr. Mais ce qui reste est en réalité son œuvre poétique qui a marqué tous les domaines dans lesquels il s’est exprimé : cinéma, poésie proprement dite, roman, critique, interventions polémiques, politiques et sociétales. Son cinéma apparaît, avec le temps, extraordinairement novateur. Il a réinventé le néoréalisme dans ses deux premiers films et l’a détourné. Il a tenté de définir une fonction sacrée (il parlait de “hiérophanie” pour définir la force de la présence de la réalité à l’écran) de l’image cinématographique. C’est évident dans "l’Évangile selon saint Matthieu" (1964). Mais aussi dans "Théorème" (1968), dans "Œdipe roi" (1967), dans "Médée" (1969)»(1). «Je suis un nouveau cinéaste. Prêt pour le monde moderne», affirmait Pasolini quelques jours avant sa mort.

Jérôme Gac
(sources: AFP & Bifi)


(1) Télérama
(05/03/2022)
(2) La Croix - L’Hebdo (12/01/2022)
(3) Télérama (25/10/2013)

Exposition: «Pier Paolo Pasolini. Images fixes», jusqu'au 14 septembre, du mardi au samedi, de 14h00 à 19h00, à l'Atelier Ombres Blanches, 3, rue Mirepoix, Toulouse.

Rencontre avec René de Ceccatty, jeudi 8 septembre, 18h00 ;
Rencontre avec Laurent Feneyrou, vendredi 9 septembre, 18h00 ;
Rencontre avec Hervé Joubert-Laurencin, mercredi 14 septembre, 18h00.
À la librairie Ombres Blanches
, 50, rue Gambetta, Toulouse.

Projection: "Salò ou les 120 Journées de Sodome", mercredi 14 septembre, 21h00, à la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.

Livres:
Pier Paolo Pasolini, "Descriptions de descriptions" (Manifestes, 2022) ;
Pier Paolo Pasolini et Biagio Marin, "Une amitié poétique" (L’Eclat, 2022) ;
René de Ceccatty, "Pier Paolo Pasolini" (Gallimard, 2005) ;
René de Ceccatty, "Avec Pier Paolo Pasolini" (Le Rocher, 2005/2022) ;

René de Ceccatty, "Le Christ selon Pasolini"
(Bayard, 2018).

 

jeudi 7 juillet 2022

Étoiles dans la nuit


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
À la nuit tombée, les films sont projetés en plein air tout l’été, dans la cour de la Cinémathèque de Toulouse.

Comme chaque été, la Cinémathèque de Toulouse transforme en salle de cinéma à ciel ouvert la cour qui conduit les spectateurs de la rue du Taur jusqu’à l’entrée du hall d’exposition. Pour la dix-huitième année, à l'occasion de cette traditionnelle programmation estivale, le grand écran est donc installé en plein air, sous les arbres où cinq cent spectateurs peuvent être accueillis par séance. Chaque film est présenté à la fois en extérieur, à la nuit tombée, mais également en salle en début de soirée. 

Des années trente à aujourd’hui, de "42e rue" à "Parasite", cette nouvelle sélection de «Cinéma en plein air» compte 35 films, où les stars seront au rendez-vous: Ingrid Bergman, Humphrey Bogart, Gary Cooper, James Stewart, Kim Novak, Steve McQueen, Anouk Aimée, Giulietta Masina, Robert Redford, Kirk Douglas, Bruce Willis, Jim Carrey, Julia Roberts, Richard Gere, Bill Murray, Viggo Mortensen, Jessica Chastain, James Franco, Charlize Theron, Scarlett Johansson, Eva Mendes, Adam Driver, Michel Piccoli, Denis Lavant, Jean-Hugues Anglade, Jean-Pierre Bacri, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Philippe Katerine, Mathieu Amalric, Adèle Haenel, etc. Comme de coutume, divers genres sont représentés: la comédie débridée ou romantique, le musical, le mélodrame, le fantastique, le teen movie, le road movie, le polar ou le film noir, sans oublier quelques grands auteurs. 

Parmi les titres annoncés : "Casablanca" de Michael Curtiz, "Le Gouffre aux chimères" de Billy Wilder, "Le Train sifflera trois fois" de Fred Zinnemann, "Les Nuits de Cabiria" de Federico Fellini, "Sueurs froides" d’Alfred Hitchcock, "Lola" de Jacques Demy, "Les Tontons flingueurs" de Georges Lautner, "Bullitt" de Peter Yates, "Jeremiah Johnson" de Sydney Pollack, "Pretty Woman" de Garry Marshall, "Un jour sans fin" de Harold Ramis, "La Cité de la peur" d’Alain Berbérian, "Le Cinquième Élément" de Luc Besson, "Truman Show" de Peter Weir, "In the Mood for Love" (photo) de Wong Kar-wai, "Gran Torino" de Clint Eastwood, "Les Amours imaginaires" de Xavier Dolan, "Take Shelter" de Jeff Nichols, "Holy Motors" de Leos Carax, "Moonrise Kingdom" de Wes Anderson, "Spring Breakers" de Harmony Korine, "La Fille du 14 juillet" d’Antonin Peretjatko, "Mad Max: Fury Road" de George Miller, "Paterson" de Jim Jarmush, etc.

Directeur délégué de la Cinémathèque de Toulouse, Franck Loiret signale que «l’exposition consacrée à l’affichiste Yves Thos, accueillie en partenariat avec l’Institut Jean Vigo de Perpignan, restera accrochée tout l’été dans le hall. Cet été, enfin, la Cinémathèque sera présente dans plusieurs festivals pour différentes cartes blanches, en particulier les Rencontres Cinéma de Gindou pour l’hommage qui sera rendu à Guy Cavagnac, le producteur, réalisateur et ami, qui nous a quittés en janvier 2022.»

Jérôme Gac


«Cinéma en plein air», du 9 juillet au 7 août à 22h00, du 10 au 27 août à 21h30, du mercredi au dimanche, à la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.

 

jeudi 30 juin 2022

L’angoisse à l’italienne


Cet été, la Cinémathèque française consacre une rétrospective à Dario Argento, réalisateur, scénariste et producteur italien.

Les films de Dario Argento sont à l’affiche de la Cinémathèque française qui présente une rétrospective estivale dédiée au réalisateur italien ; La programmation s’intéresse également à l’activité de scénariste et de producteur du maître du thriller horrifique. Critique de cinéma au journal Paese Sera, puis scénariste ("Il était une fois dans l'ouest"), Dario Argento réalise en 1969 son premier long métrage, "l'Oiseau au plumage de cristal". Révélant un style personnel, le film est inspirée du livre "la Belle et la bête" de Fredric Brown et du film "la Fille qui en savait trop" de Mario Bava. 

On décèle dans ce «giallo» les influences de son auteur qui puise du côté de l’expressionnisme allemand et du cinéma d'Alfred Hitchcock. L’œuvre révèle déjà les indices de ce qui deviendra la marque de fabrique d’Argento: scènes violentes, mouvements complexes de caméra, éclairages agressifs, etc. Aussitôt remarqué, le film constitue le premier volet d’une trilogie animalière complétée en 1971 avec "le Chat à neuf queues", puis "Quatre mouches de velours gris". Après "le Cinque giornate", évocation de la révolution de 1848 à Milan, il exploite de nouveau ses obsessions en 1975 pour livrer "les Frissons de l'angoisse". 

Dario Argento confesse: «D’un côté, je vois de la cohérence dans mon cinéma, dans cette recherche qui a pris forme au fil des années et qui évolue toujours. Mais je me souviens aussi que quand j’ai fait "Quatre Mouches de velours gris", quand je l’avais presque terminé en fait, je me suis dit qu’il fallait changer, explorer de nouveaux territoires, de nouveaux parcours. J’ai donc pensé à l’épouvante, genre que j’ai toujours aimé depuis que j’étais gamin: les récits de Edgar Allan Poe et Lovecraft, et aussi les films d’horreur américains des années 1950.»(1)

Dario Argento poursuit: «Le temps était venu pour un tournant, et j’ai eu l’idée d’un film où il n’y aurait pas de changement complet, mais quand même un récit différent. J’ai donc pensé aux "Frissons de l’angoisse", où la psychologie est différente, les enquêtes policières sont différentes, et il y a aussi beaucoup d’imagination et de pensées. C’est un film que j’ai écrit très rapidement, mais j’y ai pensé pendant très longtemps.»(1)

Deux après, le cinéaste passe à la vitesse supérieure avec "Suspiria" (photo), film d’horreur fantastique sur fond de sorcellerie, qui plonge le spectateur dans un univers labyrinthique oppressant, saturé d’effets visuels baroques et de sonorités entêtantes. Il ne cessera d’exploiter ensuite ce système de mise en scène qui fera largement école dans les années quatre-vingt. 

Dario Argento se souvient : «J’aime avant tout les films les plus difficiles à réaliser. "Suspiria" en fait partie. Ce fut à la fois un défi technique et scénaristique. J’avais notamment décidé de ne pas faire deux plans semblables. Avec le directeur de la photo, nous avons donc élaboré quelque chose comme 2 000 plans et seulement deux ou trois sont comparables. C’est ce qui donne, en partie, cette sensation de vertige que je voulais. Je faisais preuve alors d’un grand enthousiasme dans le maniement de la caméra.»(2) Pour relever cet audacieux pari, "Suspiria" est tourné en support Technicolor, un procédé déjà abandonné à l’époque.  

"Suspiria" est le premier volet de la Trilogie des Enfers (ou des Trois Mères), qui sera suivi de "Inferno" (1980) et "la Terza Madre" (2007). «A propos de ma trilogie, j’ai fait le deuxième film trois ans après le premier, et lorsqu’il a été question de tourner le troisième, j’ai dit non. Je pensais qu’il fallait attendre. Pendant ce temps-là, je suis allé en Amérique, j’ai signé deux films avec ma fille Asia, plus deux épisodes des "Masters of Horror". Puis, quand plus personne ne pensait à me demander où en était ce troisième volet, alors j’ai commencé à tourner "la Terza Madre". Je ne crois pas aux sorcières, parce que je n’en ai jamais rencontré. Mais c’est un thème qui permet de faire un grand saut dans l’inconnu, dans l’irrationnel. Plus encore aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans, la réalité s’est enlaidie, alors il faut en sortir», constatait-il lors de la sortie du troisième volet de cette trilogie.(2)

«J'ai besoin de temps, je suis lent. Chaque film est une grande élaboration. Je pense et je voyage. Découvrir des lieux et des cultures qu'on ignorait, ça apporte des idées nouvelles. Il faut aussi pouvoir faire intervenir les rêves, l'inconscient et les symboles, Freud et Jung ! J'aime la complexité. La psychanalyse est une des bases de mes films et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, elle a laissé une trace si profonde dans les arts, le cinéma, la peinture, la littérature. Je trouve que dans le cinéma d'aujourd'hui, la psychologie des personnages est souvent complètement abandonnée, simplifiée. On ne cherche plus la profondeur des êtres. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de faire peur au spectateur mais de raconter l'intériorité obscure de l'âme, des pensées. Les gens aiment explorer cette dimension secrète, c'est pour ça qu'ils aiment mes films.»(3)

En dépit des modes et des critiques, Dario Argento renouvelle le genre, mêlant maniérisme et symbolisme, trivialité et sophistication, et plonge le spectateur dans la psyché trouble de ses personnages avec une exquise cruauté. De "l'Oiseau au plumage de cristal" à son tout dernier film, "Occhiali neri", en passant par la poésie morbide des "Frissons de l'angoisse" ou l'horreur graphique de "Suspiria", chacune de ses œuvres est une expérience esthétique et sensorielle unique. La rétrospective proposée à la Cinémathèque française a été organisée avec Cinecittà qui a réalisé une restauration numérique des films présentés en DCP.
 

Jérôme Gac

 
(1) arte.tv (16/03/2017)
(2) Libération
(27/12/2007)
(3) telerama.fr
(05/08/2016)

Du 6 au 31 juillet,
à la Cinémathèque française
,
51, rue du Bercy, Paris.


mercredi 29 juin 2022

La comédie selon Donen


 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Cinémathèque française consacre une rétrospective estivale à Stanley Donen, cinéaste américain disparu en 2019.

Né en 1924 à Columbia, en Caroline du Sud, Stanley Donen apprend à danser pendant sa scolarité tout en se produisant dans les théâtres locaux. «Il fallait que je quitte cet endroit: j'étais juif, ce n'était pas drôle... Vous ne savez pas ce qui est arrivé aux Juifs, dans ces années-là ? Dans ce coin des États-Unis, on croyait encore que les Juifs avaient des cornes»(1), déclara-t-il presque un siècle plus tard. Lorsqu’il découvre Fred Astaire au cinéma dans "Top Hat", il interrompt ses études afin de poursuivre une carrière théâtrale: «Je voulais ressentir à nouveau l'émotion de ce moment. C'était un désir assez vague, la quête d'une chose magique indéfinissable.»(1)

Il débute comme choriste à Broadway en 1940, dans "Pal Joey": Il rencontre Gene Kelly qui tient le rôle principal et George Abbot, le metteur en scène, deux hommes qui deviennent ses amis et collaborateurs. Stanley Donen suit alors Gene Kelly à Hollywood, et assiste Charles Walter, le chorégraphe de "Best Foot Forward" (1943) d'Edward Buzzel. Dans la foulée, il collabore avec Gene Kelly à la chorégraphie de "la Reine de Broadway" (Cover Girl): «La chorégraphie était mon idée et je savais comment faire, parce que j'ai toujours aimé la technique. Le réalisateur m'a dit: ça ne marchera jamais. Je lui ai prouvé le contraire. Personne ne l'avait fait avant, mais je savais que c'était possible.»(1)

Tout en continuant à danser, il commence à chorégraphier seul pour la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), et devient surtout le collaborateur de Gene Kelly, comme pour "Match d'amour" ("Take Me Out to the Ball Game") réalisé en 1949 par un Busby Berkeley échappé de son propre style. L'inspiration de la nouvelle équipe, associée au producteur Arthur Freed, semble entièrement dominer l'ensemble et se révéler décisive pour l'évolution du genre: Donen et Kelly sont les auteurs de l'histoire originale et chorégraphes, Kelly a le rôle principal. Lorsque la réalisation de "Un jour à New York" (On the Town) est confiée en 1949 à Kelly, ce dernier demande naturellement à Donen d'être son assistant.

Cette première tentative, où les acteurs chantent et dansent dans les lieux les moins propices à cet effet, marque l'histoire de la comédie musicale américaine: le spectacle pénètre alors dans la vie, s’extrait du cadre trop étroit du théâtre à l'italienne et se libère des intrigues de coulisses. "Un jour à New York" (photo), comme bon nombre de comédies musicales, est avant tout le produit d'une équipe. Cette fusion de divers talents devait être à l'origine de la réussite d'un genre que le trio porta à son apogée en 1952, avec le fameux "Chantons sous la pluie" (Singin' in the Rain), chef-d'œuvre incontesté qui raconte sur un rythme effréné le passage du cinéma muet au parlant.

«Stanley Donen a apporté un certain réalisme et la veine satirique dans la comédie musicale. Dans "Chantons sous la pluie", Gene Kelly et lui ont bouleversé le genre en s'inspirant pour le rôle du metteur en scène colérique et paranoïaque du grand Busby Berkeley»(2), raconte Bertrand Tavernier. En 1955, "Beau fixe sur New York", avec Cyd Charisse, ne remporte pas le succès commercial escompté. Cette œuvre inclut pourtant quelques-uns des plus étonnants numéros musicaux jamais réalisés.

Parallèlement à cette collaboration avec Gene Kelly, le cinéaste fait ses preuves seul, réalisant en 1951 "Mariage royal" (Royal Wedding), avec Fred Astaire. «Avoir Fred Astaire a été l’excitation de ma vie. Je le dois encore à Arthur Freed. Charles Walters devait faire le film, mais il l’a refusé, car il devait y avoir Judy Garland et qu’il en avait assez de la diriger. C’est comme cela que j’ai mis en scène le film. Fred Astaire tombe amoureux et c’est ainsi qu’on le fait danser sur la pièce. Après, il fallait le réaliser. Je savais comment procéder physiquement, sans effets spéciaux. En fait, c’est la pièce qui tourne autour de lui, et c’est ainsi que le plafond vient à lui.»(3)

En 1954, il montre l'étendue de son talent dans "les Sept Femmes de Barberousse" (Seven Brides for Seven Brothers): «C'est la première comédie musicale en CinémaScope. Je ne sais plus ce que tournait Vincente Minnelli au même moment, mais je n'avais que la moitié de son budget, et mon film a rapporté le double de recettes... Malgré l'imbécillité du producteur qui disait : “Des danseurs dans le rôle d'hommes des bois ? Qui va croire que ces pédés sont des bûcherons ?”»(1)

Il dirige en 1957 l’un des derniers rôles dansés de Fred Astaire, partenaire d'Audrey Hepburn, son actrice fétiche, dans "Drôle de frimousse" (Funny Face). Ce chef-d’œuvre exhibe ses qualités de réalisateur de musical, dues en grande partie à ses compétences techniques: Donen parvient en effet à suivre les partitions musicales et les chorégraphies sans briser l'élan des danseurs, grâce à d'amples mouvements de caméra fluides ou, au contraire, à un montage presque haché.

Il cosigne ensuite deux films avec George Abbot: après "Pique-nique en pyjama" (Pyjama Game) en 1957, où il est question d'une grève d'ouvrières dans une usine, "Cette satanée Lola" (Damn Yankees !) est son dernier musical. Au sujet de son éloignement du musical, il assure: «Je n'ai pas arrêté de réaliser des comédies musicales, c'est Hollywood qui n'en a plus voulu. Je pense que le cinéma américain avait de plus en plus besoin des recettes des marchés étrangers. Une comédie musicale est difficile à doubler, alors qu'un film d'action sans trop de dialogues voyagera très bien.»(1)

Stanley Donen se lance dans la comédie pure avec "Indiscret" (1958) qui plaque le langage cinématographique sur un scénario délibérément théâtral. Il utilise le même type de contraste dans les comédies "Charade" (1963), avec Cary Grant et Audrey Hepburn, et "Arabesque" (1966), avec Gregory Peck et Sophia Loren: « Intrigues ahurissantes combinant les recettes de la comédie américaine traditionnelle et le style parodico-bondissant à la mode, filmées dans un style volontairement artificiel qui, ses cadrages extravagants, ses gros plans d’objets, ses incessants mouvements de caméra (subjective, aérienne, etc.), ses surimpressions et sa couleur irréelle, s’apparente à la fois à la bande dessinée, à la photo de mode et à l’avant-garde contemporaine. Le but évident d’un film comme "Arabesque" est de nous éblouir au sens le plus physique du terme»(4), écrivent Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier dans "50 ans de cinéma américain".

Il signe en 1967 "Voyage à deux" (Two for the Road), son film le plus personnel, une comédie sentimentale poignante et sophistiquée, avec Audrey Hepburn et Albert Finney. Puis "Fantasmes" (Bedazzled), est une variation sur le mythe de Faust, avec Dudley Moore et Peter Cook. Relatant l’histoire de deux coiffeurs homosexuels vieillissants, "l'Escalier" (The Staircase) connaît un échec en 1969. Dix ans plus tard, il parodie avec affection les comédies musicales des années 1930 dans "Folie, folie" (Movie Movie), film testamentaire en hommage au double programme d'avant-guerre. Après s'être essayé à la science-fiction avec "Saturn 3" (1980), "C'est la faute à Rio" (Blame It on Rio) est son dernier film, comédie qui révéla Demi Moore, remake d’"Un moment d'égarement" (1977), de Claude Berri.

Jérôme Gac
 

(1) Télérama (juillet 2012)
(2) lepoint.fr (25/02/2019)
(3) L’Humanité (22/06/2005)
(4) Nathan (1995)

Du 29 juin au 31 juillet,
à la Cinémathèque française
,
51, rue du Bercy, Paris.

 

samedi 28 mai 2022

L’obsession de la vérité


 
La Cinémathèque de Toulouse projette quinze films de Brian De Palma, pour apprécier à sa juste valeur une filmographie spectaculaire, ancrée dans une cinéphilie obsessionnelle et des récits à l’obscurité fertile.

De "Sœurs de sang" (1972) à "Redacted" (2007), quinze films de Brian De Palma sont à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse, pour apprécier à sa juste valeur une filmographie spectaculaire, ancrée dans une cinéphilie obsessionnelle et des récits à l’obscurité fertile.

 Après plusieurs courts-métrages filmés en 16 mm au début des années soixante ("Icarus", "660214, The Story of an IBM Card", "Wotan's Wake"), Brian De Palma signe son film de fin d’études en s’inscrivant dans la lignée des cinéastes de la Nouvelle Vague française : "The Wedding Party" (1964) est tourné dans les rues, caméra à l'épaule, avec notamment Robert De Niro dans son premier rôle à l’écran. L’année suivante, "Meurtre à la mode" constitue un véritable exercice de style: la reconstitution d'un meurtre selon trois points de vue différenciés par trois styles de mise en scène. 

Ours d'argent au Festival de Berlin, en 1968, "Greetings" sera suivi d’une suite, "Hi, Mom !" (1970), avec de nouveau Robert De Niro. Ce diptyque témoigne de la contre-culture des années 1960, dans une Amérique traumatisée par la guerre du Vietnam et l’assassinat de Kennedy. Le cinéaste déclarera plus tard à ce sujet: «J’affirme que je fais du cinéma politique. J’ai commencé comme cela, à la fin des années soixante, des brûlots contre la guerre du Vietnam, contre la société américaine telle qu’elle dégénérait, sur les grands complots de l’époque. Et si je fais depuis trente ans des films à suspense, c’est la même chose. Je ne sépare pas la forme du fond»(1)

Entre les deux volets de son diptyque, il expérimente dans "Dionysus in 69" la technique du split-screen (image fragmentée) qui deviendra sa marque de fabrique. «Le split-screen permet à deux idées de s’exprimer, elles se contredisent parfois et obligent le spectateur à faire le tri entre ce qu’il perçoit, ce que les personnages “voient” et ce que le metteur en scène veut bien lui montrer»(2), explique-t-il.

Brian De Palma est révélé au grand public avec "Sœurs de sang" (1972), où le thème du regard en général et du voyeurisme en particulier, récurrent chez le cinéaste, constitue le nœud de l'intrigue. Inspiré par certains polars d’Alfred Hitchcock, dont "Fenêtre sur cour", ce film trahit la fascination du réalisateur pour le maître du suspense, dont il s'inspire ensuite frontalement pour "Obsession" (1976) – qui revisite "Vertigo" –, puis "Pulsions" (1980) et "Body double" (1984), pour ne citer que les exemples de parentés hitchcockiennes les plus spectaculaires. «Ma référence au cinéma de Hitchcock est tout fait consciente, et il ne s’agit pas d’un hommage que je lui rends : c’est comme un peintre qui étudie les vieux maîtres pour développer ensuite un style qui n’appartient qu’à lui»(2), assure-t-il. 

En 1974, son opéra rock "Phantom of the Paradise" est une variation sur "le Fantôme de l’Opéra" de Gaston Leroux: «Si "Phantom of the Paradise" est devenu un film culte, celui dont les gens me parlent encore le plus aujourd’hui, c’est parce que c’est un film réussi et novateur. Il n’a pas marché à sa sortie parce que ça n’était pas à la mode»(2), constate Brian De Palma. Il obtient ensuite un succès mondial avec "Carrie" (1976), film d’épouvante sanguinolent, d’après le premier roman de Stephen King: «Je n’étais pas du tout attiré par ce genre de littérature, c’était juste une histoire habile et forte, un matériau solide. J’en ai aussi rajouté de mon cru, comme le final avec la mort de la mère de Carrie»(2)

En 1981, "Blow Out" est un hommage à "Blow Up", de Michelangelo Antonioni. «Tous mes héros ont un rapport névrotique à la vérité. C’est une obsession chez eux, ils pensent la détenir, veulent la prouver, mais personne ne les croit et on cherche à les faire taire. Du coup, on n’approche jamais de la vérité, on n'y arrive pas. (…) Prenez "Blow Out": c’est un film politique. Un jeune homme détient une information que des politiciens veulent étouffer. Ils ont tout corrompu, les policiers, les journalistes, eux-mêmes, et ils désirent encore corrompre ce jeune homme. Ce film a la fin la plus noire et la plus désespérée que je connaisse. (…) Le personnage que joue John Travolta dans "Blow Out" est inspiré des reporters du Watergate, mais il est aussi preneur de son pour les films d’horreur. Il vit avec ces deux choses : la politique et le cinéma, indissociables»(1), assurait Brian De Palma au quotidien Libération.

Sur un scénario d’Oliver Stone, il réalise en 1982 un remake hyper violent du "Scarface" de Howard Hawks, avec Al Pacino: «Une histoire de destruction des valeurs humaines. Il y a de la tragédie grecque dans tout ça, c’est ce qui m’a dicté le style du film, flamboyant, proche de l’opéra»(2)

Il réalise en 1987 "les Incorruptibles" (photo), film à succès écrit par David Mamet, inspiré de la traque d'Al Capone par l'agent Eliot Ness et ses «Incorruptibles». «Moi, je ne me considère pas comme un incorruptible, personne ne peut l’être dès lors qu’il participe au système capitaliste hollywoodien. Je l’ai compris le jour où j’ai touché suffisamment d’argent pour me payer ma propre voiture, au début des années soixante-dix. Ce sont souvent les films que je n’ai pas initiés qui cartonnent, mais ça ne me frustre pas : c’est trop oppressant de baigner uniquement dans son propre univers. J’aime prendre de la distance, me confronter à des gens qui n’ont pas les mêmes obsessions que moi»(2), confesse Brian De Palma. 

En 1989, il rencontre un échec commercial avec "Outrages", «relatant le viol et le meurtre d’une jeune Vietnamienne par une troupe de G.I. "Outrages" est un film sur la barbarie humaine, sur la manière dont cette guerre a détruit les valeurs d’une génération d’adolescents. La scène du meurtre de la jeune femme sur le pont, je ne l’ai pas inventée, tout s’est déroulé comme ça dans la réalité. J’ai essayé de toutes mes forces de mettre mon style au service de l’émotion suscitée par la tragédie. Comment filmer l’intolérable ? "Outrages" est ma réponse, je suis fier de ce film»(2)

L’année suivante est marquée par l’échec commercial de son adaptation du "Bûcher des vanités", roman de Tom Wolfe paru trois ans auparavant. «Vous ne vous rendez pas compte de cette catastrophe. J’adaptais un best-seller sacré, un monument de la littérature américaine pour un résultat public désastreux. Je suis resté l’homme qui a ridiculisé Tom Wolfe et l’establishment critique ne me l’a jamais pardonné. Depuis je n’existe plus»(3), déclarait Brian De Palma quelques années plus tard dans le quotidien Le Monde. Nouvel échec public en 1993, "L'impasse" réunit Al Pacino et Sean Penn en trafiquants de drogue dans le New York de la fin des années soixante-dix. 

Le succès est de nouveau au rendez-vous avec "Mission Impossible" (1996), blockbuster produit et interprété par Tom Cruise: «On m’a proposé la suite, mais il était hors de question de renouveler une telle expérience. Qu’y a-t-il d’excitant à radoter ?»(2). Thriller ambitieux, "Snake Eyes" (1998) est doté d’une scène d’ouverture formée d’un unique plan séquence de quinze minutes: «Je voulais montrer en un seul plan à quel point la vie que Nicolas Cage mène et son état d’esprit corrompu se fondent dans ce décor de strass et de faux-semblants»(2)

Arrivé sur le tard dans le processus de production de "Mission to Mars" (2000), il réalise alors son premier film de science fiction. Thriller ayant pour cadre le Festival de Cannes, qu’il découvrit lors de la présentation de son précédent film, "Femme fatale" (2002) est une production française, suivie par "le Dahlia noir" (2006), film noir adapté du roman de James Ellroy qui s’inspire d’un crime non élucidé de l’après-guerre, à Los Angeles. 

Brian De Palma dénonce ensuite la guerre en Irak dans "Redacted" (2007) qui emprunte la forme du documentaire. En 2012, "Passion" est un remake du dernier film d’Alain Corneau, sorti deux ans auparavant, qui décortique la relation de deux femmes prises dans un jeu de séduction et de manipulation. Financé et tourné en Europe, son dernier film, "Domino : La Guerre silencieuse", est un polar ayant pour toile de fond le terrorisme.

Jérôme Gac

(1) Libération (05/02/2002)
(2) Ciné Live (avril 2002)
(3) Le Monde (30/04/2002)
 

Jusqu’au 2 juillet, à la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.

 

mardi 12 avril 2022

Le Sud


 

 

 

 

 

 

 

 

 


Six films américains à la Cinémathèque de Toulouse pour plonger dans l’œuvre de Tennessee Williams.

Enfant du Sud, Tennessee Williams grandit dans un contexte social dégradé. Il se lance dans l’écriture tout en exerçant divers petits boulots. Lorsque son scénario de "la Ménagerie de verre" est refusé par la MGM, il adapte le manuscrit pour le théâtre et connaît son premier succès. Après la réussite du passage au cinéma de "la Ménagerie de verre" (1950), réalisé par Irving Rapper, Tennessee Williams signe le scénario d'"Un tramway nommé Désir" tourné en 1950 par Elia Kazan. Interprété par Vivien Leigh et Marlon Brando, le film connaît un immense succès populaire et critique. En 1956, Kazan puise à nouveau son inspiration chez l'écrivain pour "Baby Doll". 

D'autres grands noms du cinéma s'intéressent à l'œuvre du dramaturge: Richard Brooks réalise "la Chatte sur un toit brûlant" (1958) et "Doux Oiseau de jeunesse" (1961) ; Joseph L. Mankiewicz adapte en 1959 "Soudain l'été dernier", œuvre étouffante sur la folie ; Sydney Pollack jette son dévolu sur "l'Homme à la peau de serpent" (1960) et Sydney Lumet sur "Propriété interdite" (1965) ; John Huston tourne "la Nuit de l'iguane" (1963) ; Joseph Losey choisit d’adapter "Boom" (1967) ; Paul Newman réalise une nouvelle adaptation de "la Ménagerie de verre" en 1987, avec John Malkovich et Joanne Woodward.

Le théâtre de Tennessee Williams est peuplé de personnages en proie à la frustration devant la rigidité et le conformisme de leur environnement, en l'occurrence la société du Sud américain. L’Amérique découvre alors l'univers névrosé de l'auteur dans ces films qui osent aborder des thèmes jusque-là censurés par Hollywood, comme l'homosexualité. La réussite de la transposition de l’œuvre de Tennessee Williams au cinéma s’explique par la force des dialogues, parfaitement appropriée au grand écran.

La Cinémathèque de Toulouse programme six films tirés de l’œuvre de l'auteur, réalisés par Elia Kazan, Richard Brooks, Joseph L. Mankiewicz, Sydney Pollack et Sydney Lumet. Selon Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse, «le cinéma hollywoodien des années 1950, en puisant à l’œuvre de Tennessee Williams, tendait à rompre avec sa période classique. Propulsé par Elia Kazan, c’est l’âge d’or de l’Actors Studio, l’arrivée sur le devant des écrans du réalisme américain – d’un réalisme à l’américaine. Et en guise de rupture, la naissance de nouvelles icônes

Formée à la «Méthode» (ou Method Acting) à New York, la comédienne et metteuse en scène Céline Nogueira explique: «Le réalisme est né à la fin du XIXe siècle du désir et du besoin d’un théâtre social et politique et d’un jeu qui rompt avec le romantisme. On ne déclame plus, on cherche l’intériorisation pour accéder à la véracité du sentiment et de l’expérience. Le personnage est en proie à des conflits humains intérieurs et extérieurs dans des contextes de changement social. On parle de jeu réaliste, parce que les personnages sont écrits par des auteurs dits réalistes, post-naturalistes ou modernes. Anton Tchekhov en Russie, Henrik Ibsen en Norvège, August Strindberg en Suède, Tennessee Williams et Henry Miller aux États-Unis questionnent les valeurs morales de leur temps et leurs personnages sont confrontés à un choix de vie.»

Céline Nogueira rappelle que «la technique utilisée est le “système” Stanislavski. Mais il a pu le développer grâce à Tchekhov, "la Mouette" notamment, qui révèle le drame non plus par les mots mais par ce qui n’est pas dit. La préoccupation du réalisme se concentre sur les conditions de travail, les relations conjugales, l’homosexualité, la solitude, la frustration… Il y a de la réminiscence dans le jeu réaliste qui flirte avec la mystique. Une mélancolie d’un passé heureux qui a du mal à perdurer dans le changement. Tennessee Williams décrit des épaves, des errances à fleur de peau, un immigré polonais, une femme chassée qui refuse de vieillir et d’admettre son penchant pour les jeunes hommes. Le réalisme montre la cruauté d’une société moralisatrice qui fait des monstres parce qu’ils n’y trouvent pas leur place.»

Céline Nogueira poursuit: «Dans "Un Tramway nommé Désir", par exemple, Brando fait de Stanley Kowalski un demi-dieu de beauté, et quand les acteurs veulent s’y frotter, ils veulent jouer “beau”. Mais si Brando fait de Stanley un demi-dieu de beauté, ce n'est pas parce que Stanley est beau, ou parce qu'il joue à être beau. Stanley est plutôt une brute de macho. C’est parce que Brando a cueilli toute la sueur de l’immigration au travail, la moiteur du sud des États-Unis, la promiscuité des corps et la frustration dévorante d’un homme en proie au dilemme moral, que Stanley devient sexy : il est humain. Mais on ne peut accéder à Stanley par l’extériorisation de l’ego, il faut d’abord se frotter au prix qu’il paye.»

Jérôme Gac


Du 14 au 30 avril, à la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.