mardi 20 février 2024

Wild Way
















Une rétrospective des films d'Arthur Penn est à l'affiche de la Cinémathèque française.

Issu d'une famille juive d'origine russe, Arthur Penn a grandi à New York et à Philadelphie. Entré à la télévision en 1951, il y réalise un grand nombre de pièces, adaptations et dramatiques originales, puis met en scène des pièces à Broadway. Rompant avec les codes hollywoodiens de l’époque, il fait des débuts artistiques fracassants dans le cinéma en 1957, avec "le Gaucher". Si ce biopic de Billy the Kid est un échec commercial, il marque l'avènement d'un cinéaste qui ne tournera que quatorze films en trente-deux ans. Il est l’auteur d’une filmographie à la fois atypique et personnelle, révélant obstinément une vision pessimiste de l'Amérique qui transcende les genres abordés. Souvent solitaires et immatures, ses héros sont confrontés à un monde sauvage et froid. 

En 1967, il signe "Bonnie and Clyde", récit de la cavale d'un jeune couple qui multiplie les hold-up dans l’Amérique des années 1930, en pleine Dépression. Bernard Benoliel rappelle: «C'est en se glissant entre la fin du vieux code de censure (1966) et l'instauration d'une classification des films pour protéger le public (1968), en profitant de la déliquescence de l'ancien studio system, que "Bonnie and Clyde" (1967) renverse de toute son énergie le tabou cinématographique de la représentation d'un rapport sexuel (une fellation) et la limite admise jusque-là d'une mise à mort (un coup de feu en plein visage, des rafales de mitraillette si longues qu'elles continuent d'agiter de soubresauts des corps inanimés)(1)

Dans leur ouvrage "50 ans de cinéma américain", Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier constatent: «Cinéaste du chaos et du tumulte intérieur, peintre des consciences embryonnaires et torturées, Penn a poussé très loin l’expression physique d’un “malaise”, spécifiquement moderne, celui de l’individu, invariablement marginal, cherchant obscurément à définir son identité à travers un rapport toujours problématique à l’autre et au monde. Inaptes à la communication, étrangers à toute structure sociale, ses personnages s’inventent des communautés parallèles (gangs de "Bonnie and Clyde", "Le Gaucher", "Missouri Breaks" ; groupes hippies de "Alice’s Restaurant" ; bande de copains de "Georgia"), à l’intérieur desquelles circulent des échangent codifiés de signes, qui constituent leur langage. Ces groupes expriment une nostalgie de la famille, ultime garantie contre la menace d’un univers chaotique où l’individu ne parvient pas à trouver sa place. Aspiration utopique, certes (et d’ailleurs inconsciente), comme l’est la quête du père, ou d’une image paternelle de remplacement, thème constant chez l’auteur du "Gaucher"». 

De film en film, Arthur Penn oppose l'ordre social à ses personnages, que ce soit l'individu anormal dans "Miracle en Alabama" (1962), les hors-la-loi dans "le Gaucher" et "Bonnie and Clyde" (1967), le marginal dans "Georgia" (fresque sur l'immigration yougoslave aux États-Unis tournée en 1981) et "la Poursuite impitoyable" (1965), l'Indien voué à l'extermination par les tuniques bleues dans "Little Big Man" (1970), etc. Tous se heurtent à une société qui ne peut résoudre ses problèmes que par la violence: la mort de Bonnie et de Clyde, le massacre des Indiens, etc. Coursodon et Tavernier écrivent: «Le héros de Penn est farouchement fermé à la connaissance de soi et du monde qui pourrait le sauver de son aliénation. Opaque à lui-même, il veut être “reconnu” avant de se connaître (…)».
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Le critique Philippe Rouyer écrit, à propos d'Arthur Penn: «Ses liens étroits avec l’Actors Studio, dont il sera plus tard le directeur artistique, le prédisposaient à travailler avec Marlon Brando, Paul Newman, Robert Duvall, Anne Bancroft, Warren Beatty, Dustin Hoffman ou Gene Hackman. De la Méthode, il a gardé une attention aux gestes, aux corps et aux constantes hésitations afin d’exprimer ce que les mots ne sauraient dire chez des personnages pour qui le langage paraît impossible à maîtriser, quand ils n’en sont pas totalement privés.»
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Philippe Rouyer raconte: «De son expérience théâtrale, Penn a aussi hérité le goût d’une part d’improvisation dans la caractérisation du personnage qui intervient au terme d’un long et patient travail sur le texte. Il n’écrit d’ailleurs jamais seul ses films et part volontiers d’un matériau préexistant : pièce, livre, voire scénario novateur comme dans le cas de "Bonnie and Clyde" qu’il accepte de tourner pour le plaisir de retrouver Warren Beatty qui lui garantit le final cut. En apparence, cette cavale sanglante du couple de bandits qui a défrayé la chronique dans l’Amérique des années 1930 s’inscrit dans la tradition du film criminel. Penn fait cependant subir au genre un traitement proche de celui qu’il avait réservé au western avec "le Gaucher" auquel "Bonnie and Clyde" semble répondre par bien des aspects. L’approche psychologique du couple et des relations qu’il forme avec sa bande démythifie l’aura légendaire des amants qui n’en sont pas vraiment: Clyde est impuissant et, malgré les efforts de Bonnie, le restera jusqu’à ce que, peu avant leur mort, le poème qu’elle a écrit sur leurs exploits le libère enfin. Cette attention portée par les gangsters à la manière dont leurs faits d’armes sont glorifiés rejoint celle de Billy le Kid dans "le Gaucher", intrigué par ses rencontres avec l’inquiétant auteur de fascicules grand public qui fait de lui un héros avant de le renier. Cette préoccupation se retrouve au cœur de "Little Big Man", où Jack Crabb (Dustin Hoffman), du haut de ses 121 ans, dernier survivant du massacre de Little Big Horn, raconte à un jeune intervieweur ses incroyables exploits de visage pâle élevé par les Cheyennes auprès desquels il a passé la majeure partie de son existence».


Et Philippe Rouyer de rappeler qu’Ingmar Bergman voyait en Penn «un des plus grands metteurs en scène au monde».
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Jérôme Gac

photo: "Bonnie and Clyde"
 

(1) cinématheque.fr
(2) "50 ans de cinéma américain"
(Nathan, 1995)
(3) festival-larochelle.org


Du 21 au 29 février, à la Cinémathèque française
51, rue de Bercy, Paris. Tél. 01 71 19 33 33.