vendredi 15 octobre 2021

Histoire d’un succès


 

 

 

  

 

 

 

 

 

Le studio d’animation TAT Productions fait l’objet d’un cycle et d’une exposition à la Cinémathèque de Toulouse.

Depuis vingt ans, les productions du studio d’animation TAT se sont imposées sur les petits comme les grands écrans et connaissent un succès international avec des films comme "les As de la Jungle", "Terra Willy" (photo) ou "Spike", et des séries animées diffusées sur France Télévisions. À l'occasion de cet anniversaire, la Cinémathèque de Toulouse propose une exposition et un cycle dédiés à ce studio toulousain fondé par David Alaux, Éric et Jean-François Tosti, trois passionnés de cinéma fantastique et amis depuis leur adolescence. 

Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse, rappelle qu'«aujourd’hui TAT – employant plus de cent personnes à Toulouse – est devenu un des studios de cinéma d’animation les plus cotés internationalement, un fleuron de la production régionale et nationale, récompensé d’un Emmy Awards. Ce qui fait leur force: une technique irréprochable et toujours innovante – ils sont les premiers à avoir utilisé un appareil photo numérique pour faire du stop motion à reporter sur de la pellicule. Et surtout un esprit décalé, tel qu’on l’a connu dans les premiers Pixar, qui fait que leurs films s’adressent autant aux parents qu’ils amusent les enfants.»

L’exposition visible dans le hall de la salle de la rue du Taur réunit des scénarios annotés, des croquis, des making-of, des produits dérivés, etc. qui, selon Francesca Bozzano, directrice des collections de la Cinémathèque de Toulouse, sont «autant de clés pour pénétrer dans le monde magique du cinéma d’animation. Des figurines en pâte à modeler qui ont servi à la réalisation des premiers films jusqu’à l’Emmy Awards qui a primé la série animée "les As de la jungle", cette exposition nous amène au cœur de la “fabrique” du cinéma d’animation et retrace le parcours d’un studio Pixar à la française qui a élu domicile à Toulouse». L’exposition s’attache ainsi à dévoiler le processus de création d’un univers visuel, l’invention d’objets et de personnages aux attitudes et aux caractères différents.

Jérôme Gac
"Terra Willy, planète inconnue" © TAT Productions


Projections du 16 octobre au 7 novembre ;
exposition jusqu’au 7 novembre.

À la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. 05 62 30 30 10.

 

lundi 4 octobre 2021

De Berlin à Hollywood


 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Cinémathèque de Toulouse invite cette saison à un voyage de l’Amérique de Chaplin jusqu’à la Hongrie de Béla Tarr.

Cet automne, dans le cadre du festival Cinespaña, la Cinémathèque de Toulouse s’intéresse aux cronocrímenes, des comédies fantastiques ibériques qui, des années quarante à aujourd’hui, se jouent de l’espace-temps. On célèbrera également les vingt ans des studios d’animation TAT – société de production née à Toulouse – et on reverra les films de la Hammer, fameux studio britannique spécialisé dans le fantastique et l’horreur gothique. Les acteurs Frank Sinatra et Dean Martin partageront l’affiche à la fin de l’année, et six films exhiberont plusieurs facettes de la ville de Berlin, dans le cadre de la Semaine franco-allemande.

Un cycle printanier intitulé «Télévision et expérimentation» permettra d’évaluer la place de la recherche et de la création d’un média du futur à la télévision française, des années soixante jusqu’aux années quatre-vingt-dix. Le cinéma algérien sera célébré, à l'occasion des soixante ans de l'indépendance de l'Algérie, et des films syriens tournés au cours des dix dernières années témoigneront d’un pays en guerre. Deux programmations s’intéresseront au huis clos et à la maxrploitation (ou comment le film d’horreur s’est approprié la lutte des classes). Des cinéastes seront à l’honneur, avec des rétrospectives dédiées aux Américains Charlie Chaplin (photo) et Brian de Palma, aux Français Jean-Denis Bonan, Charlotte Silvera et Claire Denis, au Hongrois Béla Tarr, à l’Italien Roberto Rossellini, à l’Argentin Matías Piñeiro, au Chilien Patricio Guzmán. 

Annoncée à l’automne, la cinquième édition du festival Histoires de Cinéma est centrée sur le réemploi des images, ou l’art de faire des films sans caméra, en reprenant à son compte des images tournées par d’autres : du documentaire au cinéma expérimental, en passant par le cinéma d’exploitation, entre objectif politique et volonté comique, sans oublier ses saignées poétiques, à l’heure de la profusion des images. Quant à l’équipe d’Extrême Cinéma, elle prépare la vingt-deuxième édition du festival incorrect de la Cinémathèque de Toulouse, avec sa dose habituelle de Cinéma Bis, films d’exploitation, blockbusters déviants et autres films cultes ou totalement oubliés… mauvais goût assuré ! À l’approche des fêtes de fin d’année, un festival dédié au jeune public propose trois jours d’ateliers, de séances accompagnées et de rencontres.

Le fil rouge de la saison des ciné-concerts rassemble des films de Mary Pickford et de Douglas Fairbanks, couple mythique d’acteurs du cinéma muet et fondateurs, avec Chaplin et Griffith (photo), de la United Artists (société de production et de diffusion) leur garantissant une indépendance artistique et financière au sein du système hollywoodien. «Icônes du celluloïd et du papier glacé, en quinze ans de vie commune, ils n’auront véritablement joué ensemble que dans un seul film – un film parlant ("La Mégère apprivoisée", 1929) qui trahissait le déclin de leur idylle», raconte Franck Lubet, responsable de la programmation.

Dans le hall de la salle de la rue du Taur, cinq expositions se succèderont au fil des mois: les coulisses du studio d’animation TAT, pour débuter la saison ; les regards (recadrages, coloriages, détournements, etc.) portés par les artistes Hélène Bellenger et Estefanía Peñafiel Loaiza sur les collections de la Cinémathèque ; des portraits de stars et des photos de tournage signés Léo et Yves Mirkine ; les sorcières au cinéma ; l’affichiste Yves Thos, durant l’été.

Jérôme Gac
photo: Mary Pickford, DW Griffith, Charles Chaplin, Douglas Fairbanks

 
«Cronocrímenes, comédies fantastiques & autres mondes parallèles», dans le cadre de Cinespaña, jusqu'au 10 octobre ;
«Roberto Rossellini», du 12 octobre au 10 novembre ;
«Hammer», du 12 octobre au 10 novembre ;
«Berlin, portrait d’une ville», du 14 octobre au 4 novembre ;
Festival Histoires de Cinéma, du 12 au 21 novembre.

À la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. 05 62 30 30 10.

 

lundi 20 septembre 2021

Parfum de Groland


 

 

 

 

 

 

 

 

 
La dixième édition du Fifigrot invite la productrice Sylvie Pialat, le comédien Jean-Claude Dreyfus, les réalisateurs Jan Bucquoy, Pascal Rabaté, François Desagnat, Fabrice Éboué, etc.

Projections de courts et longs inédits, documentaires, concerts, théâtre, expositions, rencontres littéraires, etc. sont chaque année au menu du Festival international du Film grolandais de Toulouse. Pour cette dixième édition du Fifigrot, les films en avant-première, les raretés et pépites décalées, les satires sociales ou à l’humour déjanté seront bien au rendez-vous. L’Amphore d’or du film le plus grolandais pioché dans la compétition sera décernée par la productrice Sylvie Pialat, qui s’est également vue confier une carte blanche. Comme toujours, le public sera invité à décerner son prix parmi ces films «d’esprit grolandais», ainsi qu’un jury constitué d’étudiants, sans oublier le fameux Prix Michael Kael. 

La compétition des longs métrages réunit notamment les nouveaux films du Belge Jan Bucquoy et du Russe Kirill Serebrennikov, ou encore "Oranges sanguines" de Jean-Christophe Meurisse, avec Blanche Gardin, Denis Podalydès, Vincent Dedienne, etc. Plusieurs ouvrages concourent également pour le Gro Prix de littérature grolandaise. Outre les traditionnelles sections Gro’zical, Grolandais de l'Année ou Midnight Movies, une programmation d’Ethnologie Grolandaise permettra de «découvrir d’autres pays réels ou imaginaires où les communautés ont, elles aussi, de drôles de pratiques», prévient le célèbre Grolandais Benoît Delépine.

Parmi les événements de cette édition, le comédien Jean-Claude Dreyfus (photo) présentera deux films de sa filmographie et un documentaire retraçant son parcours, des hommages seront rendus aux cinéastes Jacques Baratier et Marco Ferreri, et à l’acteur Jim Carrey. Cinquante ans après son apparition, le support vidéo sera à l’honneur, avec notamment une soirée dédiée à Troma, la plus ancienne société de production indépendante américaine qui a marqué les années VHS. 

Cette dixième édition accueillera les premiers Jeux Grolympiques, annoncés comme les championnats les plus spectaculaires et incongrus de l’Histoire qui verront s’affronter les plus grands athlètes de l’absurde autour de cinq épreuves saugrenues dans l'enceinte du Port Viguerie, où le Gro Village accueillera comme chaque année diverses animations grolandaises, au bord de la Garonne. On retrouvera enfin la traditionnelle programmation Ciné Bistrot, en partenariat avec le collectif Bar Bars, qui propose une sélection de courts métrages dans plusieurs bistrots de la ville. Bienvenue au Groland !

Jérôme Gac
photo: "Delicatessen"


Fifigrot, du 20 au 26 septembre, à Toulouse, Blagnac et L’Union ; 

Grovillage, du mercredi au dimanche, de 14h00 à minuit (mercredi à partir de 18h00, dimanche de 11h30 à 22h30), au Port Viguerie, rue Viguerie, Toulouse.


vendredi 4 juin 2021

Le dragueur


 

 

 

 

 

 

 

Entretien avec Laurent Gaissad, socio-anthropologue, qui publie "Hommes en chasse", fruit de plusieurs années «d’immersion sur le terrain des “lieux de drague”» entre hommes.

Qu'est-ce qui vous a incité à choisir pour objet d'étude les lieux de drague entre hommes ?

Laurent Gaissad: «Quand je suis arrivé à Toulouse en 1994, il y avait encore un lieu de drague très fréquenté à la nuit venue tout près de chez moi, aux abords de l'église Saint-Aubin, dans un quartier à la vie nocturne animée à l'époque. Je venais d'apprendre que j'étais séropositif et la possibilité d'avoir des relations sexuelles sans lendemain et sans avoir à échanger le moindre mot avec mes partenaires était un gage de liberté, une espèce de refuge en quelque sorte. Pour éviter le stigmate, j'ai choisi le plaisir et les lieux de la clandestinité sans pour autant faire l'expérience des risques auxquels on les associait évidemment au pic de l'épidémie précédente. J'ai désiré et attendu des nuits entières en savourant cette vacance nocturne quotidienne. Évidemment, je n'ai pas fait qu'attendre ! L'anonymat et l'intensité passagère des rencontres me fascinaient: j'avais envie d'en savoir plus sur l'histoire et le devenir des lieux de drague entre hommes, séparés du monde et durables comme le secret qui les fondait d'une génération à l'autre, en ville comme à la campagne.»

Quelles sont les caractéristiques d'un lieu de drague ? Qu'en est-il du dragueur ?

L. G.: «Leur mixité sociale, leur non-mixité sexuelle, leur persistance et leur fragilité, leur paysage changeant au fil des saisons, des politiques municipales, des changements de mœurs, des catastrophes industrielles ou naturelles: ces espaces sont vécus aux marges, même si c'est tout le reste de l'expérience qui devient marginale quand on y entre. Il y a bien une géographie de tels lieux à la fois intimes et exposés, déplacés sur le plan moral et territorial, mais qui se déplacent aussi à cause de la police, de l'éclairage ou de l'élagage, des violences homophobes, d'une crue de Garonne, de l'explosion d'une usine. Envers et contre tout, ces territoires donnent à voir, pour qui en perçoit les rites entêtés, toute une écologie sociale du désir à même l'espace public, et qui se trame dans la longue durée. En même temps, il est impossible d'établir le portrait-robot du dragueur, si ce n'est qu'il est d'ici et d'ailleurs en même temps, qu'il est souvent aussi étranger à lui même qu'aux autres sur place, et que c'est justement ce qu'il désire, en particulier sexuellement, dans l'entre soi consensuel du secret partagé entre hommes. Le dragueur peut même être l'homophobe, et vice versa, bien que, la plupart du temps, le désir versatile s’assume et s'assouvit sans conséquence ni contrainte.»

Quels sont les impacts des politiques d'aménagement urbain qui s'emploient à domestiquer les espaces naturels sur les lieux de drague ?

L. G.: «Il y a beaucoup à dire au sujet des volontés politiques, le plus souvent implicites, de chasser les “indésirables” des lieux dont ils font un usage commun avec le reste de la population, inattentive ou la plupart du temps, ignorante. On assiste à un véritable chassé-croisé permanent entre les programmes d'aménagement et les lieux de drague qui se relocalisent sans cesse, surtout en ville. À la campagne, il faut savoir qu'ils font tous aujourd'hui, et presque sans exception, l'objet de mesures de protection environnementale. Ces espaces abritaient la sexualité entre hommes avant qu'ils ne soient décrétés “naturels”, évidemment. C'est une coïncidence qui peut engendrer des conflits d'usage, même si les différentes formes de jouissance des lieux publics, si j'ose dire, sont rarement incompatibles sur le terrain, dans les forêts, les corridors fluviaux ou les littoraux, qui sont les dernières réserves de la biodiversité. Pourquoi leur préservation devrait-elle exclure celle de ce patrimoine au dessus de tout soupçon qu'est la drague sexuelle librement consentie, en l'occurrence entre hommes ? Discrètement établis dans le paysage, certains coins de forêt sont peuplés par des “anciens”, véritables gardiens de lieux qu'ils entretiennent, prenant soin de leurs équilibres délicats comme des jardiniers en régime de mœurs incertaines et fragiles, dans un souci tenace de les voir perdurer.»

Une décennie plus tard, la banalisation des rencontres via des sites en ligne et des applications de smartphone, et l'ouverture du mariage aux couples de même sexe ont elles bouleversé les habitudes de la drague en plein air ?

L. G.: «On peut surtout décrire une lame de fond à l'échelle des trois décennies précédentes : celle qui ont vu succéder à l'apparition du bar à backroom et des saunas gays une partition spatiale toujours plus marquée entre drague et sexualité entre hommes dans l'espace public. Le sex-club, établissement commercial à vocation sexuelle donnant directement sur la rue, a troqué le bar et les relations de comptoir contre un simple distributeur de boissons, anticipant le confinement des sexualités gays à domicile rendu possible par l'essor des applications de rencontre géolocalisées à la période récente. C'est aussi la période d'une normalisation conjointe du couple et du sida, et des paniques morales associées à une dispersion homosexuelle irréductible aux avancées du droit et de la médecine. Il est fort probable que l'avènement des rencontres médiatisées par internet ne fasse que reconfigurer les territoires d'un désir sexuel s'affirmant désormais simultanément online et in situ, à l'instar de certains sites qui servent de lieux de rendez-vous effectifs dans l'espace public, à portée de smartphone, et dans l'itinérance retrouvée.»

Quel regard portez-vous sur deux films connus qui ont pour cadre le type de lieux que vous décrivez: "Cruising" ("La Chasse", 1980) et "L'Inconnu du lac" (2013) d'Alain Guiraudie ?

L. G.: «J'adore "Cruising" pour sa grande valeur documentaire sur le milieu cuir new-yorkais de la fin des années 1970. Ce film du réalisateur de "L'Exorciste", William Friedkin, a défrayé la chronique, conspué par certains activistes de l'époque qui lui reprochaient l'étalage de mœurs déviantes et d'un milieu criminogène digne de l'époque de la prohibition, mais qui aurait survécu aux émeutes de Stonewall. L'inspecteur de police incarné par Al Pacino se laisse affecter par cet univers trouble et troublant, c'est magnifique. Quant au serial killer qui sévit dans les lieux de fête et de sexualité gay, jusque dans un parc public (la scène tournée là est d'anthologie), il est presque annonciateur de l'hécatombe à venir, à quelques mois des premiers cas de ce qu'on appellera le “cancer gay”. En même temps, il renoue avec la tradition littéraire associant l'homosexualité et le crime, portée aux nues par Jean Genet, et qu'on retrouve dans "L'Inconnu du lac" (photo). Dans ce film-là, c'est la scène du parking, en boucle, qui me fascine: le lieu de drague comme routine et promesse d'inédit imposé ainsi au grand public qui découvre le réalisateur. Je suis encore plus totalement fan de la présence frontale du désir entre hommes d'une génération à l'autre, et entre les générations surtout, dans les autres films de Guiraudie, dans "Le Roi de l'évasion" (2009) et dans son magistral "Rester vertical" (2016), entre autres. J'aime aussi beaucoup évidemment l'idée que les vastes paysages de l'arrière-pays puissent contenir une liberté sexuelle à faire pâlir nos cultures urbaines et leurs quartiers gays civilisés.»

Propos recueillis par Jérôme Gac

Laurent Gaissad, "Hommes en chasse. Chroniques territoriales d'une sexualité secrète" (Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020)