mercredi 29 juin 2022

La comédie selon Donen


 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Cinémathèque française consacre une rétrospective estivale à Stanley Donen, cinéaste américain disparu en 2019.

Né en 1924 à Columbia, en Caroline du Sud, Stanley Donen apprend à danser pendant sa scolarité tout en se produisant dans les théâtres locaux. «Il fallait que je quitte cet endroit: j'étais juif, ce n'était pas drôle... Vous ne savez pas ce qui est arrivé aux Juifs, dans ces années-là ? Dans ce coin des États-Unis, on croyait encore que les Juifs avaient des cornes»(1), déclara-t-il presque un siècle plus tard. Lorsqu’il découvre Fred Astaire au cinéma dans "Top Hat", il interrompt ses études afin de poursuivre une carrière théâtrale: «Je voulais ressentir à nouveau l'émotion de ce moment. C'était un désir assez vague, la quête d'une chose magique indéfinissable.»(1)

Il débute comme choriste à Broadway en 1940, dans "Pal Joey": Il rencontre Gene Kelly qui tient le rôle principal et George Abbot, le metteur en scène, deux hommes qui deviennent ses amis et collaborateurs. Stanley Donen suit alors Gene Kelly à Hollywood, et assiste Charles Walter, le chorégraphe de "Best Foot Forward" (1943) d'Edward Buzzel. Dans la foulée, il collabore avec Gene Kelly à la chorégraphie de "la Reine de Broadway" (Cover Girl): «La chorégraphie était mon idée et je savais comment faire, parce que j'ai toujours aimé la technique. Le réalisateur m'a dit: ça ne marchera jamais. Je lui ai prouvé le contraire. Personne ne l'avait fait avant, mais je savais que c'était possible.»(1)

Tout en continuant à danser, il commence à chorégraphier seul pour la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), et devient surtout le collaborateur de Gene Kelly, comme pour "Match d'amour" ("Take Me Out to the Ball Game") réalisé en 1949 par un Busby Berkeley échappé de son propre style. L'inspiration de la nouvelle équipe, associée au producteur Arthur Freed, semble entièrement dominer l'ensemble et se révéler décisive pour l'évolution du genre: Donen et Kelly sont les auteurs de l'histoire originale et chorégraphes, Kelly a le rôle principal. Lorsque la réalisation de "Un jour à New York" (On the Town) est confiée en 1949 à Kelly, ce dernier demande naturellement à Donen d'être son assistant.

Cette première tentative, où les acteurs chantent et dansent dans les lieux les moins propices à cet effet, marque l'histoire de la comédie musicale américaine: le spectacle pénètre alors dans la vie, s’extrait du cadre trop étroit du théâtre à l'italienne et se libère des intrigues de coulisses. "Un jour à New York" (photo), comme bon nombre de comédies musicales, est avant tout le produit d'une équipe. Cette fusion de divers talents devait être à l'origine de la réussite d'un genre que le trio porta à son apogée en 1952, avec le fameux "Chantons sous la pluie" (Singin' in the Rain), chef-d'œuvre incontesté qui raconte sur un rythme effréné le passage du cinéma muet au parlant.

«Stanley Donen a apporté un certain réalisme et la veine satirique dans la comédie musicale. Dans "Chantons sous la pluie", Gene Kelly et lui ont bouleversé le genre en s'inspirant pour le rôle du metteur en scène colérique et paranoïaque du grand Busby Berkeley»(2), raconte Bertrand Tavernier. En 1955, "Beau fixe sur New York", avec Cyd Charisse, ne remporte pas le succès commercial escompté. Cette œuvre inclut pourtant quelques-uns des plus étonnants numéros musicaux jamais réalisés.

Parallèlement à cette collaboration avec Gene Kelly, le cinéaste fait ses preuves seul, réalisant en 1951 "Mariage royal" (Royal Wedding), avec Fred Astaire. «Avoir Fred Astaire a été l’excitation de ma vie. Je le dois encore à Arthur Freed. Charles Walters devait faire le film, mais il l’a refusé, car il devait y avoir Judy Garland et qu’il en avait assez de la diriger. C’est comme cela que j’ai mis en scène le film. Fred Astaire tombe amoureux et c’est ainsi qu’on le fait danser sur la pièce. Après, il fallait le réaliser. Je savais comment procéder physiquement, sans effets spéciaux. En fait, c’est la pièce qui tourne autour de lui, et c’est ainsi que le plafond vient à lui.»(3)

En 1954, il montre l'étendue de son talent dans "les Sept Femmes de Barberousse" (Seven Brides for Seven Brothers): «C'est la première comédie musicale en CinémaScope. Je ne sais plus ce que tournait Vincente Minnelli au même moment, mais je n'avais que la moitié de son budget, et mon film a rapporté le double de recettes... Malgré l'imbécillité du producteur qui disait : “Des danseurs dans le rôle d'hommes des bois ? Qui va croire que ces pédés sont des bûcherons ?”»(1)

Il dirige en 1957 l’un des derniers rôles dansés de Fred Astaire, partenaire d'Audrey Hepburn, son actrice fétiche, dans "Drôle de frimousse" (Funny Face). Ce chef-d’œuvre exhibe ses qualités de réalisateur de musical, dues en grande partie à ses compétences techniques: Donen parvient en effet à suivre les partitions musicales et les chorégraphies sans briser l'élan des danseurs, grâce à d'amples mouvements de caméra fluides ou, au contraire, à un montage presque haché.

Il cosigne ensuite deux films avec George Abbot: après "Pique-nique en pyjama" (Pyjama Game) en 1957, où il est question d'une grève d'ouvrières dans une usine, "Cette satanée Lola" (Damn Yankees !) est son dernier musical. Au sujet de son éloignement du musical, il assure: «Je n'ai pas arrêté de réaliser des comédies musicales, c'est Hollywood qui n'en a plus voulu. Je pense que le cinéma américain avait de plus en plus besoin des recettes des marchés étrangers. Une comédie musicale est difficile à doubler, alors qu'un film d'action sans trop de dialogues voyagera très bien.»(1)

Stanley Donen se lance dans la comédie pure avec "Indiscret" (1958) qui plaque le langage cinématographique sur un scénario délibérément théâtral. Il utilise le même type de contraste dans les comédies "Charade" (1963), avec Cary Grant et Audrey Hepburn, et "Arabesque" (1966), avec Gregory Peck et Sophia Loren: « Intrigues ahurissantes combinant les recettes de la comédie américaine traditionnelle et le style parodico-bondissant à la mode, filmées dans un style volontairement artificiel qui, ses cadrages extravagants, ses gros plans d’objets, ses incessants mouvements de caméra (subjective, aérienne, etc.), ses surimpressions et sa couleur irréelle, s’apparente à la fois à la bande dessinée, à la photo de mode et à l’avant-garde contemporaine. Le but évident d’un film comme "Arabesque" est de nous éblouir au sens le plus physique du terme»(4), écrivent Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier dans "50 ans de cinéma américain".

Il signe en 1967 "Voyage à deux" (Two for the Road), son film le plus personnel, une comédie sentimentale poignante et sophistiquée, avec Audrey Hepburn et Albert Finney. Puis "Fantasmes" (Bedazzled), est une variation sur le mythe de Faust, avec Dudley Moore et Peter Cook. Relatant l’histoire de deux coiffeurs homosexuels vieillissants, "l'Escalier" (The Staircase) connaît un échec en 1969. Dix ans plus tard, il parodie avec affection les comédies musicales des années 1930 dans "Folie, folie" (Movie Movie), film testamentaire en hommage au double programme d'avant-guerre. Après s'être essayé à la science-fiction avec "Saturn 3" (1980), "C'est la faute à Rio" (Blame It on Rio) est son dernier film, comédie qui révéla Demi Moore, remake d’"Un moment d'égarement" (1977), de Claude Berri.

Jérôme Gac
 

(1) Télérama (juillet 2012)
(2) lepoint.fr (25/02/2019)
(3) L’Humanité (22/06/2005)
(4) Nathan (1995)

Du 29 juin au 31 juillet,
à la Cinémathèque française
,
51, rue du Bercy, Paris.

 

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