mardi 27 mars 2018
Politique fiction
Rétrospective des films de Costa-Gavras à la Cinémathèque de Toulouse.
Alors que parait en DVD le second volume de l’intégrale de ses films, la Cinémathèque de Toulouse projette l’intégralité des longs métrages de Costa-Gavras. Actuel président de la Cinémathèque française, le cinéaste rencontrera les cinéphiles toulousains dans la salle de la rue du Taur, ainsi qu’à la librairie Ombres Blanches, à l’occasion de la parution de ses mémoires intitulées "Va où il est impossible d’aller". Né en Grèce en 1933, Konstantinos Gavras quitte son pays et se forme à l’Idhec, à Paris. À la fin des années cinquante, il est l’assistant d’Yves Allégret, René Clair, Jacques Becker, Marcel Ophuls, René Clément, Claude Pinoteau, Agnès Varda, Jacques Demy.
«À cette époque, les assistants réalisaient les castings, ce qui me vaut quelques rencontres, notamment les Montand. Sur un tournage de René Clément, je m'occupe des costumes de Simone et des cigarettes d'Yves. Invité aux week-ends d'Auteuil, je rencontre la bande : Semprun, Marker, Foucault, Debray... J'écoute ; bientôt je parle à mon tour. Impression grisante de participer à ce qu'il y a de plus noble en France, la réflexion qui mêle l'art et la politique», se souvenait Costa-Gavras dans le quotidien Libération (1). En 1965, il adapte "Compartiment tueurs", son premier long métrage dont l’héroïne est interprétée par Catherine Allégret, la fille de Simone Signoret, laquelle figure également au casting, tout comme Yves Montand. Le succès étant au rendez-vous, il tourne ensuite "Un homme de trop", drame situé dans le milieu de la Résistance et financé par l’un des producteurs de "James Bond": «J’ai abordé cette histoire comme un western mettant en scène des jeunes gens dans un décor campagnard, mais cette fois, le film n’a pas marché du tout»(2).
En 1969, il signe "Z" «qui est considéré comme le premier film politique français. Mais il est surtout né contre les colonels grecs. Ils venaient de prendre le pouvoir, moi j’avais le livre de Vassílis Vassilikós entre les mains et j’ai choisi de réagir avec ma caméra. C’est un film typiquement français mais l’histoire est grecque. Il est universel parce qu’il s’attache à expliquer le mécanisme d’une justice soumise au pouvoir et l’instauration d’une dictature qui en découle. Ce film sonnait comme une pétition contre le régime des colonels», racontait le cinéaste dans Les Inrocks (3). "Z" se fabrique «à toute vitesse, Semprun au scénario, Montand en Lambrakis, dit “Z”, le personnage central, assassiné. Le film est un phénomène mondial, notamment en Amérique. Les propositions affluent : j'aurais pu tourner "le Parrain", "Délivrance", "Né un 4 juillet"... (…) J'aime vivre et travailler à Paris, dans le quartier auquel j'ai été fidèle toute ma vie, la Sorbonne de la rue Saint-Jacques»(1), confesse-t-il. Le film reçoit deux prix à Cannes et deux Oscars.
Dans la foulée, il tourne "l'Aveu" pour dénoncer les dérives du communisme, d'après le récit autobiographique d'Artur London, ancien vice-ministre des Affaires étrangères de Tchécoslovaquie. «L’objectif de ce film était de montrer que nous avions tous été séduits par cette idéologie. Même sans avoir appartenu au parti, ce projet de société était très attirant. Puis on s’est aperçu très vite que c’était une escroquerie. Nos meilleurs sentiments avaient été mis au service d’un mensonge. Nous avons eu une prise de conscience lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie. Puis le livre d’Artur London est sorti et il était formidable. Il racontait vraiment comment le système manipulait les consciences»(3). En 1973, il tourne "État de siège" montrant comment les États-Unis exercent une mainmise politique sur certains pays d'Amérique latine. Deux ans plus tard, "Section spéciale" revient sur un épisode sordide de collaboration du gouvernement de Vichy sous l’occupation.
En 1979, Costa-Gavras réalise "Clair de femme", film intimiste d’après Romain Gary: «Hormis Catherine Allégret et Simone Signoret dans "Compartiments tueurs", puis Irène Papas dans "Z", j’avais dirigé jusqu’alors peu d’actrices. J’avais alors dépassé la quarantaine et j’ai été sensible à ce roman et à cette histoire d’amour tout à fait différente entre des gens qui se rencontraient par hasard. Et puis, j’avais envie de travailler avec Romy Schneider et Montand en jouant de leur complicité, mais en allant à l’opposé de ce qu’ils avaient fait ensemble jusqu’alors. Pour Montand, j’ai cherché toutes ses fragilités. C’était un film d’une difficulté énorme, d’autant plus que j’ai tenu à garder les dialogues de Romain Gary. Or, il n’y a véritablement que deux personnages et ils ne parlent pas comme tout le monde. Ils délirent. Gary m’a dit qu’il ne voulait pas savoir ce qu’on faisait de ses livres depuis qu’il avait vécu une très mauvaise expérience avec les Américains. Par la suite, il a vu le film et m’a remercié d’avoir respecté ses dialogues.»(2)
Unique film de commande de Costa-Gavras, "Missing" remporte la Palme d'Or à Cannes en 1982 et l’Oscar de la meilleure adaptation. Il décrit des faits réels : la disparition d’un journaliste américain à la suite du coup d’État de Pinochet contre le président chilien Salvador Allende, en 1973, avec le soutien des services secrets américains. Le cinéaste raconte : «Le Département d’État américain a édité un rapport de cinq pages décrétant que tout ce que racontait le film était faux, en affirmant avoir procédé à la même enquête et avoir abouti à des conclusions totalement opposées. Ici aussi, j’ai été accusé d’être anti-américain, mais c’est Universal qui m’a proposé de réaliser ce film, pas des gauchistes américains, et il a très bien marché aux États-Unis. Lou Wasserman, qui était alors le grand patron d’Hollywood, était démocrate et n’a produit ce film que pour dénigrer Richard Nixon sous le mandat duquel s’étaient déroulés ces événements. Mais "Missing" est venu à moi grâce à "État de siège", lequel avait déjà été financé à un tiers par Universal qui avait distribué auparavant "Section spéciale" sur le territoire américain et m’avait encouragé à le présenter sur les campus universitaires.»(2)
Costa-Gavras signe ensuite "Hanna K.", portrait de femme sur fond de conflit israélo-palestinien, puis "Conseil de famille", comédie dont les héros sont les membres d’une famille de perceurs de coffres. Tourné en 1988, "la Main droite du diable" est un thriller intimiste au cœur du Ku Klux Klan. Ours d’or au Festival de Berlin en 1990, "Music Box" confronte une avocate américaine défendant son père, réfugié hongrois accusé par la justice américaine de crime contre l’humanité. Après un retour en France pour tourner en 1993 "la Petite apocalypse", d’après l’œuvre de l’écrivain polonais Tadeusz Konwicki, il signe son quatrième film américain avec Dustin Hoffman et John Travolta, "Mad City", pour démonter les mécanismes de la manipulation de l'information et de l'opinion publique.
En 2002, il porte à l’écran la pièce allemande "le Vicaire" devenue "Amen", immersion dans l’enceinte du Vatican pendant la Seconde Guerre mondiale, quand l’Église refusait d’entendre parler du génocide juif. Il filme ensuite le parcours désespéré d’un homme à la recherche d’un emploi : «Dans le roman policier de Donald Westlake dont je me suis inspiré pour "le Couperet", le personnage finit par devenir une sorte de tueur en série qui agit par plaisir, ce qui est dans la mentalité américaine. Moi, ce qui m’intéressait dans ce livre, c’est la souffrance de la classe moyenne qui conduit ce type à tuer pour trouver du boulot»(2). Enfin, il suit avec "Eden à l’Ouest" le voyage rocambolesque et tragique d’un émigré clandestin traversant la Méditerranée pour rejoindre Paris, puis s’intéresse au monde de la finance en 2012 pour "le Capital" – avec Gad Elmaleh en banquier – décrivant les mécanismes économiques et politiques qui régissent le monde.
Jérôme Gac
"Clair de femme" © collections La Cinémathèque de Toulouse
(1) Libération (2/3/2005)
(2) L’Avant Scène Cinéma (5/1/2017)
(3) Les Inrockuptibles (24/1/2017)
Rétrospective, du 27 mars au 29 avril ;
Rencontre, vendredi 6 avril, 19h00.
À la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. : 05 62 30 30 11.
Rencontre, samedi 7 avril, 17h00, à la librairie Ombres Blanches,
3, rue Mirepoix, Toulouse.
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