vendredi 19 octobre 2018

L’angoisse à l’italienne

















Sept films du réalisateur italien Dario Argento à la Cinémathèque de Toulouse.
 

Ressortis dans les salles cet été en version restaurée, six films de Dario Argento sont à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse, dont "Opéra" (1987) qui était resté inédit – la version VHS disponible en France était tronquée. On verra également "le Sang des innocents", un «giallo», genre de thriller d'angoisse à l’italienne où l'érotisme malsain se mêle à la violence, sorti en 2002. Critique de cinéma au journal Paese Sera, puis scénariste ("Il était une fois dans l'ouest"), Dario Argento réalise en 1969 son premier long métrage, "l'Oiseau au plumage de cristal". Révélant un style personnel, le film est inspirée du livre "la Belle et la bête" de Fredric Brown et du film "la Fille qui en savait trop" de Mario Bava. On décèle dans ce «giallo» les influences de son auteur qui puise du côté de l’expressionnisme allemand et du cinéma d'Alfred Hitchcock. L’œuvre révèle déjà les indices de ce qui deviendra la marque de fabrique d’Argento : scènes violentes, mouvements complexes de caméra, éclairages agressifs, etc. Aussitôt remarqué, le film constitue le premier volet d’une trilogie animalière complétée en 1971 avec "le Chat à neuf queues", puis "Quatre mouches de velours gris". 

Après "le Cinque giornate", évocation de la révolution de 1848 à Milan, il exploite de nouveau ses obsessions en 1975 pour livrer "les Frissons de l'angoisse" (photo). Dario Argento confesse : «D’un côté, je vois de la cohérence dans mon cinéma, dans cette recherche qui a pris forme au fil des années et qui évolue toujours. Mais je me souviens aussi que quand j’ai fait "Quatre Mouches de velours gris", quand je l’avais presque terminé en fait, je me suis dit qu’il fallait changer, explorer de nouveaux territoires, de nouveaux parcours. J’ai donc pensé à l’épouvante, genre que j’ai toujours aimé depuis que j’étais gamin : les récits de Edgar Allan Poe et Lovecraft, et aussi les films d’horreur américains des années 1950. Le temps était venu pour un tournant, et j’ai eu l’idée d’un film où il n’y aurait pas de changement complet, mais quand même un récit différent. J’ai donc pensé aux "Frissons de l’angoisse", où la psychologie est différente, les enquêtes policières sont différentes, et il y a aussi beaucoup d’imagination et de pensées. C’est un film que j’ai écrit très rapidement, mais j’y ai pensé pendant très longtemps.»(1)


Deux après, le cinéaste passe à la vitesse supérieure avec "Suspiria", film d’horreur fantastique sur fond de sorcellerie, qui plonge le spectateur dans un univers labyrinthique oppressant, saturé d’effets visuels baroques et de sonorités entêtantes. Il ne cessera d’exploiter ensuite ce système de mise en scène qui fera largement école dans les années quatre-vingt. Dario Argento se souvient : «J’aime avant tout les films les plus difficiles à réaliser. "Suspiria" en fait partie. Ce fut à la fois un défi technique et scénaristique. J’avais notamment décidé de ne pas faire deux plans semblables. Avec le directeur de la photo, nous avons donc élaboré quelque chose comme 2 000 plans et seulement deux ou trois sont comparables. C’est ce qui donne, en partie, cette sensation de vertige que je voulais. Je faisais preuve alors d’un grand enthousiasme dans le maniement de la caméra.»(2) Pour relever cet audacieux pari, "Suspiria" est tourné en support Technicolor, un procédé déjà abandonné à l’époque.


"Suspiria" est le premier volet de la Trilogie des Enfers (ou des Trois Mères), qui sera suivi de "Inferno" (1980) et "la Terza Madre" (2007). «A propos de ma trilogie, j’ai fait le deuxième film trois ans après le premier, et lorsqu’il a été question de tourner le troisième, j’ai dit non. Je pensais qu’il fallait attendre. Pendant ce temps-là, je suis allé en Amérique, j’ai signé deux films avec ma fille Asia, plus deux épisodes des "Masters of Horror". Puis, quand plus personne ne pensait à me demander où en était ce troisième volet, alors j’ai commencé à tourner "la Terza Madre". Je ne crois pas aux sorcières, parce que je n’en ai jamais rencontré. Mais c’est un thème qui permet de faire un grand saut dans l’inconnu, dans l’irrationnel. Plus encore aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans, la réalité s’est enlaidie, alors il faut en sortir», constatait-il lors de la sortie du troisième volet de cette trilogie.(2)


«J'ai besoin de temps, je suis lent. Chaque film est une grande élaboration. Je pense et je voyage. Découvrir des lieux et des cultures qu'on ignorait, ça apporte des idées nouvelles. Il faut aussi pouvoir faire intervenir les rêves, l'inconscient et les symboles, Freud et Jung ! J'aime la complexité. La psychanalyse est une des bases de mes films et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, elle a laissé une trace si profonde dans les arts, le cinéma, la peinture, la littérature. Je trouve que dans le cinéma d'aujourd'hui, la psychologie des personnages est souvent complètement abandonnée, simplifiée. On ne cherche plus la profondeur des êtres. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de faire peur au spectateur mais de raconter l'intériorité obscure de l'âme, des pensées. Les gens aiment explorer cette dimension secrète, c'est pour ça qu'ils aiment mes films.»(3)


Jérôme Gac


(1) arte.tv (16/03/2017)
(2) Libération
(27/12/2007)
(3) telerama.fr
(05/08/2016)


Du 18 octobre au 7 novembre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.


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