Accompagnant l’exposition qui lui est consacrée, la Cinémathèque française présente une rétrospective des films réalisés par Orson Welles, ainsi qu’une sélection de ses performances d’acteurs et des films disparates jalonnant une carrière éclatée.
«Welles fut toujours "entre". Entre théâtre et cinéma, héros et traître, Amérique et Europe, vérités et mensonges, prince et pitre, légende dorée et rivalité triviale. C’était dans sa nature, c’était "his character" (…)»(1), écrivait Serge Daney dans Libération à la mort d’Orson Welles, en octobre 1985. Homme de théâtre, Welles se fit connaître en montant Shakespeare, tout en adaptant des romans et des pièces pour la radio à la fin des années trente. Le 30 octobre 1938, sa version radiophonique de "la Guerre des mondes", d’après H. G. Wells, provoqua une véritable panique aux États-Unis: suicides, fuites, pillages et accidents se poursuivirent toute la nuit. Les auditeurs qui avaient raté le début de l’émission crurent, en cette veille d’Halloween, à une invasion massive de Martiens. Deux ans avant le tournage de "Citizen Kane", son premier film, Orson Welles venait de déclencher une tempête d’hystérie collective en fabriquant de faux bulletins d’informations annonçant l’arrivée sur la Terre de soucoupes volantes.
Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier notent: «Les biographes de Welles confirment l’image d’une vie dominée par le chaos, mais un chaos voulu, ou à tout le moins encouragé, par sa victime qui semblait dans son élément au sein de ce tourbillon permanent et s’en servait peut-être comme d’un écran protecteur. Ce goût de la confusion se reflète d’ailleurs partout dans son œuvre, qui, dans un sens, représente un effort pour donner une forme esthétique au chaos. Qu’on songe au nombre de scènes – et elles comptent parmi les plus mémorables de Welles – dominées par l’agitation, le désordre, la multiplicité de personnages gesticulant et parlant tous ensemble». Pour les deux auteurs, «surabondance et désordre sont deux des constantes majeures de l’œuvre de Welles comme de sa vie.»(2)
Directeur de la Cinémathèque française, Frédéric Bonnaud note: «Orson Welles est le premier à avoir affirmé – et de quelle façon ! –, la subjectivité souveraine de l'auteur de films, l'absolu primat de sa vision d'artiste, sur les recettes éprouvées de l'industrie du spectacle comme sur les habitudes paresseuses de ses clients. [...] Embauché par Hollywood comme créateur d'événements après ses exploits martiens, Welles tint parole et la montagne n'accoucha pas d'une souris, c'est le moins qu'on puisse dire: un éléphant dans la pièce. Mais il n'était pas censé remettre en cause aussi ouvertement le médium lui-même: faire du cinéma un instrument de pensée, enfin, et un moyen d'expression aussi libre et subjectif que les autres, rien que cela, pour la première fois de façon aussi ouverte et délibérée, flamboyante, en un mot.»(3)
La filmographie d’Orson Welles s’est construite au fil de heurts permanents avec les studios: films remontés par les producteurs, tournages abandonnés et projets avortés fautes de soutiens financiers. Génie fertile mais maltraité, il s’est taillé une réputation de cinéaste maudit, faisant l’acteur chez les autres pour boucler le budget de films que Hollywood s’entêtait à lui refuser. Outre l’intégralité de ses films achevés, la Cinémathèque française projette des essais et films inachevés ou mutilés, des bandes annonces ou spectacles de magie, et quelques-unes de ses apparitions chez d’autres cinéastes.
Coursodon et Tavernier précisent: «L’accumulation d’objets hétéroclites qui apparaît dès son premier film, dans une de ses séquences les plus célèbres, est comme une métaphore de l’accumulation de projets disparates dont sa carrière est encombrée. Il reviendra avec délectation à ce genre d’images: les énormes caisses sur le quai au début de "Mr. Arkadin" font écho à celles de la fin de "Citizen Kane" ; dans "le Procès", la caméra exécute de longs travellings entre des rangées d’étagères où sont entassés des centaines de dossiers volumineux, d’énormes piles de documents».
Accueilli en Europe, Orson Welles y achève sa trilogie shakespearienne ("Falstaff", 1965), puis tourne en France "le Procès" (1963), "Une histoire immortelle" (1966) et "Vérités et mensonges" (1973). Dans ce dernier film, il cite Pablo Picasso proclamant que «l’art est un mensonge, mais ce mensonge nous fait comprendre la vérité». Il y dresse le portrait de trois faussaires dans un faux documentaire célébrant le cinéma comme art de l’illusion. Soit un véritable précipité de l’œuvre d’Orson Welles, cinéaste surdoué qui cultivait une passion folle pour la magie.
Pour Frédéric Bonnaud, «cinéaste de la tension permanente et de l'extension des possibles, cet intellectuel en cinéma aura proposé rien de moins qu'une complète réinvention du spectacle cinématographique, moins fait du couple traditionnel action/identification au profit de la participation accrue d'un spectateur plus émancipé que jamais mais plus sûr de grand-chose.»(3)
Jérôme Gac
"La Dame de Shanghai" © La Cinémathèque française
(1) "Ciné journal", Cahiers du Cinéma (1986)
(2) "50 ans de cinéma américain", Omnibus (1995)
(3) cinematheque.fr (15/07/2025)
Rétrospective du 8 octobre au 29 novembre, à la Cinémathèque française.
Exposition «My name is Orson Welles», jusqu'au 11 janvier, à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris.