Une rétrospective des films de Nicholas Ray est à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse.
Nicholas Ray est à l’honneur à la Cinémathèque de Toulouse, le temps d’une rétrospective de seize films du cinéaste américain. Raymond Nicholas Kienzle, dit Nicholas Ray est né dans le Wisconsin au sein d’une famille d’origine allemande catholique et norvégienne. Son père, alcoolique et violent, meurt alors qu’il n’a que seize ans et sa famille tombe dans la pauvreté. Une bourse lui permet de poursuivre des études, puis il se lie d’amitié avec Elia Kazan qui le choisit comme assistant sur "le Lys de Brooklyn", en 1944.
Devenu scénariste, «protégé par son producteur John Houseman, ancien complice de Welles, et par le désordre régnant dans l’industrie cinématographique comme dans tout système totalitaire, Nicholas Ray tourne en 1947 son premier film, "les Amants de la nuit", sans prendre conscience de sa liberté, une liberté qu’il ne retrouvera plus jamais»(1), écrit Bernard Eisenschitz. Histoire d’amour entre deux jeunes délinquants, ce premier film regroupe tous les thèmes que le cinéaste développera par la suite: errance, rébellion, délinquance, jeunesse bafouée…
L’année suivante, Humphrey Bogart l’engage pour réaliser "les Ruelles du malheur", la première production indépendante de la star. Cette histoire de délinquance juvénile dans les bas quartiers d’une ville confronte un jeune voyou et un homme mûr qui devient pour lui une figure paternelle ; ce thème sera présent de manière récurrente dans son œuvre à venir. Il retrouve Bogart dans "le Violent" en 1950, film imprégné d’un romantisme noir, puis fait la connaissance de Robert Mitchum avec un film de guerre, "Les Diables de Guadalcanal". Il tourne de nouveau avec Mitchum pour "les Indomptables", l’histoire d’un triangle amoureux dans le milieu des rodéos qui se révèle une œuvre personnelle sur la marginalité, la nostalgie, la violence et la quête d’identité.
Son contrat avec la RKO ayant pris fin en 1953, il signe pour un petit studio "Johnny Guitare" (photo), avec Joan Crawford. Ce western lyrique et flamboyant fait de lui l’un des plus étranges réalisateurs de la modernité. Dans "50 ans de cinéma américain", Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier écrivent à ce propos: «Ses films, comme certains mélodrames de Sirk, ne peuvent vraiment être appréciés que si l’on reconnaît leur ambiguïté, l’inconfortable proximité du ridicule et du sublime qui les caractérise… C’est du moins le cas dans une œuvre limite comme "Johnny Guitare".»(2)
Après "À l’Ombre des potences", un western avec James Cagney, "la Fureur de vivre" (1955) lui vaut un succès international. Il exprime ensuite son amour pour les marginaux avec "l’Ardente Gitane", «œuvre inachevée, tronquée, commercialisée, reniée par son auteur et qui est pourtant l’un des films les plus neufs, les plus modernes, les plus inexplicablement géniaux des années cinquante»(2), assurent Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier.
Il tourne en 1956 "Derrière le miroir" qui décrit la déchéance d’un homme drogué à la cortisone. À propos de ce film, Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier écrivent: «Cette interrogation angoissée (…) prend maintenant, avec l’importance grandissante du problème de la drogue dans la jeune génération, des allures de poème prophétique. Bien avant les hippies, Ray avait dénoncé l’aliénation de l’individu dans la civilisation contemporaine, rejetant la société avec une sorte de rousseauisme passionné pour se tourner vers l’étude de communautés non corrompues (les gitans de "l’Ardente Gitane", les esquimaux des "Dents du diables" en 1960), montrant, dans "la Forêt interdite" (1958), la fragilité de cette innocence, de cet état de nature menacé par la civilisation corruptrice.»(2)
Après "le Brigand bien aimé", remake du "Jesse James" (1939) de Henry King, il réalise en 1957 "Amère victoire", un faux film de guerre entièrement photographié en gris et blanc qui reste son œuvre la plus belle et la plus secrète. Comme l’indiquent Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier: «Après ses films de prestige, "la Fureur de vivre" et "Amère victoire", Ray retourna à de petites productions hétéroclites et malchanceuses qui passèrent systématiquement inaperçues du grand public, s’y montrant, paradoxalement, plus inspiré que jamais.»(2)
En 1958, il livre deux œuvres empreintes de poésie qui rompent avec les habitudes du récit hollywoodien: "la Forêt interdite", et "Traquenard", film noir traité en de somptueuses couleurs qui réunit Cyd Charisse et Robert Taylor. Le critique Pierre Murat observe: «En définitive, Ray n'aura filmé que des éclopés moraux ou physiques (dont le plus réussi reste l'avocat marron et boiteux de "Traquenard"), tentant désespérément de regagner leur propre estime. Et puis, en un temps où Hollywood ne jurait que par la virilité de John Wayne et de Charlton Heston, il aura, sans cesse, privilégié des colosses fragiles, tel Sterling Hayden dans "Johnny Guitare", quémandant de faux mots d'amour auprès de Joan Crawford, rien que pour survivre.»(3)
En 1960, il est engagé pour tourner "le Roi des rois" qui relate des épisodes de la vie de Jésus Christ en Judée, province en révolte contre l’occupation romaine. Coursodon et Tavernier constatent: «Ce film remonté (car jugé trop violent), réécrit au doublage, est, à notre grande surprise, presque une réussite, un des meilleurs, peut-être le meilleur film biblique jamais tourné.»(2)
Coursodon et Tavernier poursuivent au sujet du cinéaste: «C’est la constance de certaines préoccupations morales, d’une certaine attitude devant la vie, qui permet d’aborder de manière synthétique l’un des auteurs les plus importants de la génération d’après-guerre. Chez tous ses héros, on découvre un trait commun: la recherche angoissée d’une raison d’être, d’un sens à la vie. Cette réponse à leurs problèmes souvent inconscients, ils pensent la trouver dans la violence qui libère ou donne l’illusion de l’existence, dans la poursuite du succès et de l’argent, dans la drogue qui est volonté de puissance et donne à l’homme l’illusion d’être “plus grand que nature”, dans l’individualisme animé par la soif de liberté, ou dans la défense entêtée des valeurs en péril. Mais, déçus, tous, en fin de compte, poursuivent leur quête dans l’amour, ultime refuge des vaincus. C’est pourquoi Ray s’est fait le peintre de l’intimité et de l’amour menacé.»(2)
En 1963, Nicholas Ray ne prend pas la peine de terminer le tournage des "55 jours de Pékin", une superproduction avec Ava Gardner et Charlton Heston. Il quitte alors Hollywood pour tenter de financer ses projets en Europe. Pierre Murat écrit: «Hollywood n'aime que l'artifice. Et Ray, la vérité des sentiments, même intimes, même impudiques. Ainsi, dans "Le Violent", il filme le reflet de ses amours compliquées avec Gloria Grahame. La vérité et la violence, chez lui indissociablement liées, circulent souterrainement pour exploser, que ce soit dans des incendies spectaculaires (dans "Johnny Guitare", dans "Les 55 Jours de Pékin") ou dans des mises à mort symboliques: dans "Traquenard", un gangster verse du vitriol (jaune) sur une poupée (rouge) qui brûle en laissant échapper une fumée (blanche)...»(3).
Devenu enseignant dans les années soixante-dix, il réalise un film expérimental, "We Can’t Go Home Again" (1973-1976): «S’identifiant à la contestation des étudiants, il se met en scène lui-même comme représentant la génération des aînés au bout du rouleau. Tournant dans tous les formats disponibles, il y tente son vieux rêve d’un cinéma au-delà du cinéma, faisant éclater l’écran et la narration»(1), écrit Bernard Eisenschitz. Il joue ensuite dans "l’Ami américain" de Wim Wenders et "Hair" de Milos Forman.
Atteint d’un cancer, il accepte d’être filmé par Wim Wenders et de coréaliser "Nick’s Movie" (1979) qui montre ses derniers jours de vie, «un des documents les plus extraordinaires que nous ait donné le cinéma», selon Coursodon et Tavernier. Les deux auteurs racontent: «Conçu, écrit et réalisé par les deux cinéastes mais, selon Wenders, essentiellement sur des idées de Ray, il s’agit d’un double autoportrait dans lequel Ray met en scène et joue sa propre mort avec l’aide et la complicité de son jeune admirateur (il mourut effectivement avant la fin du tournage, en juin 1979). Le film relève à la fois du documentaire et de la fiction sans être vraiment ni l’un ni l’autre, la partie fictionnelle, voulue surtout par Wenders, semble-t-il, pour créer une distance par rapport à un sujet difficilement supportable, ne pouvant évidemment pas faire oublier la terrible présence du réel, de cet homme à l’évidence mourant et qui nous donne sa mort en spectacle»(2).
Jérôme Gac
Du 19 mai au 2 juillet, à la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.
(1) Festival de La Rochelle (2008)
(2) "50 ans de cinéma américain", Nathan (1995)
(3) Télérama (01/02/2008)
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