mardi 7 janvier 2020
Ennemies publiques
La Cinémathèque de Toulouse revient sur la carrière de Bette Davis et de Joan Crawford, deux actrices rivales à Hollywwod.
L'année débute à la Cinémathèque de Toulouse avec un portrait croisé de Bette Davis et Joan Crawford qui rayonnèrent à Hollywwood durant plusieurs décennies. Actrices rivales, elles se haïssaient copieusement. Elles ont pourtant partagé l’affiche dans "Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?" (photo), de Robert Aldrich. Mais, pourquoi tant de haine ? Réponse en treize films tournés entre 1932 et 1962...
Repérée à Broadway par le studio Universal, Bette Davis a pourtant du mal à s’imposer à ses débuts, en raison d’un physique trop peu glamour pour le grand écran. Accueillie à la RKO, c’est finalement à la Warner Bros qu’elle se forgera une nouvelle personnalité au début des années trente, où elle est l'objet des attentions maniaques des coiffeurs et costumiers du studio. Michael Curtiz comprend alors ce que son jeu a de singulier: il lui offre dans "Ombres vers le sud" un personnage à sa mesure qui annonce les interprétations sulfureuses qu'elle donnera par la suite. Elle tournera cinq autres films avec le cinéaste au cours de la décennie, jusqu’à "la Vie privée d’Elizabeth d’Angleterre" (1939). Entre temps, faute de rôles à son goût, elle aura quitté Hollywood pour Londres d'où elle a intenté un procès contre la Warner. Elle le perd et retourne à Hollywood. Une fois les producteurs convaincus de son talent, elle devient la star de la Warner.
Pour Jean-François Rauger, «son jeu est d’une précision technique époustouflante. Un infinitésimal mouvement de ses grands yeux, de la bouche, des bras, ajouté au placement toujours sûr de sa voix, peut traduire une violence intense. Le maximum d’émotion est obtenu avec le minimum d’action. Le mélange de coquetterie et de cruauté féminine qui s’affirme dans ses personnages est rarement dénué d’une ambivalence, que les trois films qu’elle fait avec William Wyler, "Jezebel" (1938), "la Lettre" ("The Letter", 1940), "Little Foxes" (1941) portent à un haut degré de précision et de perfection.»(1) En fin de contrat, elle quitte la Warner en 1949 et triomphe aussitôt avec "All about Eve", de Joseph L. Mankiewicz. Le rôle de Margo Channing, star du théâtre, tour à tour charmante et odieuse, constitue le sommet de sa carrière.
En 1962, elle partage l’affiche avec Joan Crawford dans "Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?", de Robert Aldrich. Monstres sacrés de l’époque, les deux stars interprètent dans cet huis clos hystérique deux sœurs actrices, la carrière de l’une ayant décliné lorsque la seconde a connu la gloire à Hollywood avant de perdre l’usage de ses jambes à la suite d’un accident mystérieux… Cherchant à relancer sa carrière, Joan Crawford avait alors insisté pour que Bette Davis soit sa partenaire. Les deux femmes n’avaient jamais travaillé ensemble, elles se haïssaient depuis près de trois décennies !
En 1935, Bette Davis était en effet tombée folle amoureuse de Franchot Tone, son partenaire dans "l’Intruse" – film pour lequel elle remporta l’Oscar de la meilleure actrice. Mais Franchot Tone épousera John Crawford qui lui avait fait des avances, et Bette Davis ne pardonnera jamais à sa rivale son attitude : «Elle l'a fait froidement, délibérément et sans pitié. (…) Elle a couché avec tous les mâles de la MGM – sauf Lassie», déclare-t-elle en 1987. Et si "Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?" fut un très grand succès, John Crawford dut subir pendant le tournage les vacheries à répétition de sa partenaire toujours aussi remontée, au point qu’elle refusa de tourner de nouveau avec Bette Davis, deux ans plus tard, dans "Chut… chut, chère Charlotte", toujours réalisé par Aldrich. Les deux films du cinéaste inscrivent le corps d’une actrice vieillissante dans l’histoire d’un système qui touche à sa fin, celui de l’âge classique d’Hollywood.
Joan Crawford est une autre de ces stars qui ont marqué l'âge d'or d'Hollywood. Sa carrière embrasse sur cinquante ans les différentes périodes du cinéma des grands studios. Elle a fait ses débuts au temps du muet, en 1925, et a été filmée par les grands cinéastes de son temps: Tod Browning, George Cukor, Otto Preminger, etc. Fidèle à la MGM jusqu'en 1943, elle y tourne une trentaine de films, dont "Mannequin" (1937) de Frank Borzage. Après la Seconde Guerre mondiale, elle entame une nouvelle carrière à la Warner, en rivalité affichée avec Bette Davis. Elle reçoit l’Oscar pour son interprétation de la mère meurtrière par amour pour sa fille dans "Mildred Pierce" (1945), de Michael Curtiz.
Elle ne cesse alors d’enchaîner les succès commerciaux avec des personnages au passé équivoque qui exploitent toutes ses capacités d’actrice: "Humoresque" (1946), "la Possédée" ("Possessed", 1947), "Boulevard des passions" ("Flamingo Road", 1949) et "l’Esclave du gang" ("The Damned Don’t Cry", 1950) ont pour héroïne une femme tourmentée faisant face à de sombres malheurs, dont elle est souvent responsable. La force des personnages qu’incarne alors Joan Crawford – on affirma qu’elles étaient des super-femmes – est telle que celles-ci effacent le plus souvent les présences masculines, en général des rôles de faibles et de pauvres types. Les spectatrices représentent à cette l’époque l’essentiel du public de cinéma et les productions dans lesquelles l’actrice joue sont des «films de femmes».
En 1952, elle devient indépendante des studios. Elle tourne deux ans plus tard sous la direction de Nicholas Ray dans "Johnny Guitar", un western baroque où elle se met dans la peau d’une tenancière de bar, un de ses plus beaux rôles. Selon François Truffaut, ce film «a été fait sur mesure pour Joan Crawford, comme "l'Ange des maudits" de Fritz Lang pour Marlene Dietrich. Joan Crawford fut l’une des plus belles femmes de Hollywood ; elle est aujourd’hui hors des limites de la beauté. Elle est devenue irréelle, comme le fantôme d’elle-même. Le blanc a envahi ses yeux, les muscles de son visage. Volonté de fer, visage d’acier (sens à peine figuré). Elle est un phénomène. Elle se virilise en vieillissant. Son jeu crispé, tendu, poussé jusqu'au paroxysme par Nicholas Ray constitue à lui seul un étrange et fascinant spectacle».(2)
Jérôme Gac
"Qu'est il arrivé à Baby Jane" © collections La Cinémathèque de Toulouse
(1) lacinematheque.fr
(2) "Arts" (23/02/1955)
«Davis vs Crawford», du 7 janvier au 6 février,
à la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. 05 62 30 30 10.
Libellés :
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