mardi 30 mai 2017

Éloge de la loose
















La Cinémathèque de Toulouse consacre une rétrospective à Joel et Ethan Coen, cinéastes américains qui réinventent les genres depuis trente ans.
 

Les films des frères Coen sont à l’affiche de La Cinémathèque de Toulouse, le temps d’une rétrospective qui englobe l’intégralité de leurs longs métrages depuis le premier, "Sang pour sang" (Blood Simple), qui connut en 1984 un certain succès. Hommage au roman et au film noir américain, "Sang pour sang" dévoile les prémices d’un univers aujourd’hui bien identifié, celui que les natifs de Minneapolis déclinent à chaque opus. «Nos films sont des collages. Cormac McCarthy disait : «“Les livres sont faits d'autres livres”»(1), assurent-ils. 

D’un genre à l’autre, le cinéma de Joel et Ethan Coen réactualise le cinéma américain avec une jubilation gourmande : le burlesque pour "Arizona Junior" (1986), le film de gangster pour "Miller’s Crossing" (1989), la fable pour "le Grand Saut" (1993), le policier pour "Fargo" (1996), la comédie pour "The Big Lebowski" (1998) ou "Intolérable cruauté" (2002), le film d’évasion pour "O’ Brother" (1999), le film noir  pour "The Barber" (2001), le western pour "No Country for Old Men" (2006), le film d’espionnage pour "Burn After Reading" (2007), etc. Même dans une success-story très sensible comme "Inside Llewyn Davis" (2012), inspirée de la vie du folk singer Dave Van Rock, les Coen célèbrent toujours les anti-héros, qu’ils soient simples abrutis, pauvres types, piètres brutes, véritables salauds, ou aspirant juste à suivre leur route sans histoires. 


Mais dans le destin tout tracé de ces personnages de l’Amérique profonde, dans le scénario bien huilé que ces petites gens ont imaginé pour se rendre la vie un peu meilleure, un grain de sable viendra enrayer la machine... Et les Coen ne sont vraiment pas du genre à épargner leurs créatures, les plongeant dans un labyrinthe kafkaïen duquel ils n’auront de cesse de tenter de s’extirper. En 1991, les frères remportent la Palme d’or au Festival de Cannes avec "Barton Fink", leur quatrième film qui marque le début de leur carrière internationale. Où un jeune scénariste (John Turturro, prix d’interprétation à Cannes) débarque dans le Hollywood des années quarante, avant de sombrer dans une crise d’inspiration. 


«On lit peu de science-fiction, et beaucoup de livres d'histoire. On prend plus de plaisir à recréer un monde qui n'existe plus, qu'à inventer un monde qui n'a jamais existé. Y compris lorsqu'on remonte le temps de quelques années seulement, comme dans "Fargo" ou "The Big Lebowski". Rendre avec justesse les moindres détails, essayer d'imposer un point de vue original... Le passé nous semble plus exotique que le présent ou le futur»(1), assurent-ils. Polar impitoyable et pourtant réjouissant, tourné dans le Minnesota de leur enfance, "Fargo" reçoit l’Oscar du meilleur scénario. Frances McDormand – la femme de Joel Coen - décroche celui de la meilleure actrice pour son rôle de flic enceinte menant l’enquête. Ils enchaînent aussitôt avec un nouveau film culte, "The Big Lebowski" (photo) ou les mésaventures hilarantes et insensées du Dude (Jeff Bridges), un gars qui voulait juste qu’on lui foute la paix. 


Si les stars se bousculent aujourd’hui pour jouer sous leur direction, de George Clooney à Brad Pitt en passant par John Malkovich, Catherine Zeta-Jones ou Scarlett Johansson, les frères Coen croulant sous les récompenses se gardent bien de céder aux sirènes du succès. «Nous montons nos films sur des budgets bien plus réduits mais nous avons une autonomie totale, une liberté créatrice dans notre travail. Impossible de disposer d'une telle liberté quand 150 millions de dollars sont en jeu»(2), déclaraient-ils lors de la sortie en salles de leur dernier film, "Ave César !", une plongée incisive dans le Hollywood des années cinquante.
 

Jérôme Gac
"The Big Lebowski" © collections La Cinémathèque de Toulouse
 

(1) Le Monde (05/11/2013)
(2) lepoint.fr (16/02/2016)
 

Rétrospective, du 1er au 30 juin, à La Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


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