mercredi 30 mars 2016

La lumière d’ici


















Récit initiatique tourné dans les Pyrénées, "Quand on a 17 ans" est le nouveau film d’André Téchiné. Décryptage.

Depuis "Paulina s’en va" en 1969, André Téchiné est à la tête d’une vingtaine de longs métrages de fiction. Coécrit avec Céline Sciamma, réalisatrice de "Tomboy" et "Naissance des pieuvres", "Quand on a 17 ans" est l’opus 21 de sa filmographie pour le cinéma. Il y décrit la confrontation agressive de deux lycéens solitaires contraints de cohabiter sous le même toit, au cœur des Pyrénées. «Mon intention était de faire un film physique et de raconter un corps à corps entre ces adolescents, avec au milieu un personnage de mère. Je voulais aussi essayer de l'envisager comme un film d'action, d'aventures, où va se construire un apprentissage de la vie», déclarait-il à l’AFP lors de la projection au Festival de Berlin.

André Téchiné a choisi Sandrine Kiberlain pour interpréter le rôle de la mère et Alexis Loret pour celui du père. Ce dernier a été  révélé par le cinéaste en 1998, dans "Alice et Martin" tourné également dans la région. «J'aime filmer la nature et les éléments. Dans mon enfance et mon adolescence cette région faisait partie de mon territoire. J'y ai tourné beaucoup de mes films. C'est sans doute là que j'ai appris à voir les choses, c'est une lumière et un univers qui ont été très fondateurs pour moi. Si dans mes films je ne parvenais qu'à une seule chose, restituer ces paysages et cette lumière-là, ce ne serait déjà pas si mal», déclarait André Téchiné à l’époque.

Un constat s’impose aujourd’hui comme une évidence : c’est dans cette lumière qu’il a trouvé l’inspiration pour signer ses films les plus vibrants, du "Lieu du crime" en 1986 aux "Roseaux sauvages" en 1994, en passant par "Ma saison préférée" l’année précédente. Une trilogie magnifique à laquelle il convient d’ajouter le très lumineux "les Égarés", tourné dans le Lot en 2003, avec Gaspard Ulliel et Emmanuelle Béart.

On retrouve également dans "Quand on a 17 ans" les thèmes souvent abordés par le cinéaste que sont l'adolescence et l'homosexualité. De ce point de vue, son film phare est "les Roseaux sauvages", dans lequel il se dévoile dans le personnage de François, un jeune cinéphile qui découvre son homosexualité dans un lycée du Lot-et-Garonne en pleine guerre d'Algérie. Portrait de quatre adolescents, le film réussit le pari de toucher à l'universel en alliant initiation politique et initiation sentimentale avec une apparente simplicité.

En 1990, André Téchiné adaptait un scénario de Jacques Nolot, "J'embrasse pas" ou l'arrivée d'un jeune provincial à Paris, lequel finit par se prostituer pour survivre. En 1983, il avait filmé pour la télévision la pièce du même scénariste, "la Matiouette", ou le retour, dix ans plus tard, de ce jeune provincial dans son village natal du Sud-Ouest, en blond décoloré et pédé assumé, confronté au racisme et à l'homophobie de son frère. C'est Jacques Nolot lui-même qui réalisera dans le Gers, en 1998, le troisième acte de cette autobiographie, "l'Arrière pays".


Jérôme Gac


"Quand on a 17 ans", d’André Téchiné, avec Sandrine Kiberlain, Kacey Mottet-Klein, Corentin Fila, Alexis Loret, etc.
Sortie en salles le 30 mars (1h56).

jeudi 24 mars 2016

Plateau repas
















La restauration est au cœur de la dixième édition de Zoom Arrière, festival de la Cinémathèque de Toulouse dédié au patrimoine cinématographique.
 

Organisé par la Cinémathèque de Toulouse dans plusieurs salles de la ville et de la région, le festival Zoom Arrière met chaque année en lumière des classiques du cinéma, mais surtout des raretés issues d'archives et des films restaurés. Et parce que le cinéma demeure un spectacle à apprécier sur grand écran et une expérience collective, des artistes mettent en musique les projections de films muets.

Intitulée «Histoire(s) de restaurations», cette dixième édition de Zoom Arrière abordera, le temps d’une table ronde et de projections, les problématiques liées à la restauration - opération facilitée ces dernières années par l’arrivée du numérique. Plusieurs archives sont donc invitées à exhiber des films restaurés : le BFI de Londres, la NFA de Prague, la Cineteca di Bologna, le EYE d’Amsterdam, la Cinémathèque française, Gaumont ou encore Pathé. On découvrira ainsi les copies restaurées de films comme "El Dorado" de Marcel L’Herbier, en ouverture du festival, et "les Trois lumières" de Fritz Lang en clôture des festivités, projections accompagnées respectivement par les pianistes Michel Lehman et Hakim Bentchouala-Golobitch.


À l’affiche également : "Faust" de F. W. Murnau, "The Pleasure garden" d’Alfred Hitchcock, "le Joli mai" (photo) de Chris Marker, "la Fin du jour" et "la Belle équipe" de Julien Duvivier, "les Monstres" de Dino Risi, "l’Armée des ombres" de Jean-Pierre Melville, etc. L’acteur Pascal Greggory est invité à présenter notamment deux films puisés dans sa filmographie : "Nuit de chien" de Werner Schroeter, "Raja" de Jacques Doillon. Quant à Cédric Klapisch, il viendra en tant que cinéaste associé à LaCinetek, cette plateforme en ligne qui propose en VOD des films sélectionnés par des réalisateurs.


Jérôme Gac

 
Du 31 mars au 9 avril, à Toulouse ;
Du 2 au 14 avril, en Midi-Pyrénées.

Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. : 05 62 30 30 11.

mercredi 9 mars 2016

Flash-back sur Téchiné


Après le festival de Berlin, le cinéaste originaire du Tarn-et-Garonne présente son nouveau film "Quand on a 17 ans" en avant-première à Auch et à Luchon, l'un des lieux du tournage. Retour sur une rencontre avec André Téchiné lors de la sortie de son film "Alice et Martin".


En 1998, André Téchiné retrouvait Juliette Binoche et offrait un rôle d'homo tout ce qu'il y a de plus ordinaire à Mathieu Amalric. La révélation d'"Alice et Martin" était alors Alexis Loret, brillant par l'étincelante beauté de son visage et la discrète sensualité de son corps, comme beaucoup d'autres avant lui devant la caméra du cinéaste : Wadeck Stanczack dans "Rendez-vous" (1985) et "le Lieu du crime" (1986), Manuel Blanc dans "J'embrasse pas" (1991), Stéphane Rideau dans "Les Roseaux Sauvages" (1994). André Téchiné retrouve aujourd'hui Alexis Loret pour son nouveau film, "Quand on a 17 ans", écrit avec la cinéaste Céline Sciamma et tourné dans les Pyrénées.


En 1998, la sortie dans les salles d'"Alice et Martin" fut l'occasion d'évoquer avec André Téchiné les thèmes qui peuplent son cinéma et qui sont au centre de "Quand on a 17 ans": la nature, l'adolescence, l'homosexualité. De ce point de vue, son film phare est aussi celui qui a connu le plus grand succès public : "Les Roseaux sauvages" dans lequel il se dévoile dans le personnage de François, un jeune cinéphile qui découvre son homosexualité dans un lycée du Lot-et-Garonne en pleine guerre d'Algérie. Portrait de quatre adolescents qui font l'expérience initiatique de la vie, le film réussit le pari de toucher à l'universel en alliant initiation politique et initiation sentimentale avec une grande simplicité. 

En 1990, il adaptait un scénario de Jacques Nolot, "J'embrasse pas" ou l'arrivée d'un jeune provincial à Paris qui finit par se prostituer pour survivre. En 1983, il avait filmé pour la télévision la pièce du même scénariste, "la Matiouette" ou le retour, dix ans après, de ce jeune provincial dans son village natal du Sud-Ouest, en blond décoloré et pédé assumé, confronté au racisme et à l'homophobie de son frère. C'est Jacques Nolot lui-même qui réalisera en 1998 le troisième acte de cette autobiographie, "l'Arrière pays". Entretien.
 

Beaucoup de vos films montrent la nature, le ciel...

André Téchiné: «J'aime filmer la nature et les éléments. Lorsqu'il fuit l'espèce humaine, le personnage de Martin se réfugie dans le règne animal. J'ai tourné cet épisode en Ariège. Jusqu'à ce que la société parvienne à le rattraper car c'est une utopie que de vouloir y échapper.»

Le Sud-Ouest a souvent été un lieu de tournage pour vos films...

«Dans mon enfance et mon adolescence cette région faisait partie de mon territoire. J'y ai tourné beaucoup de mes films. C'est sans doute là que j'ai appris à voir les choses, c'est une lumière et un univers qui ont été très fondateurs pour moi. Si dans mes films je ne parvenais qu'à une seule chose, restituer ces paysages et cette lumière-là, ce ne serait déjà pas si mal.»

Pourquoi cette conception du couple peu habituelle et toujours tourmentée dans vos films, quasiment impossible ?

«Le bonheur ça ne se montre pas, je montre les conflits car les conflits c'est la vie. Les personnages doivent surmonter des obstacles à la fois internes et externes comme nous en rencontrons tout le temps. Les couples standard ou conformistes ne me fascinent pas car cela manque d'étrangeté. Et à partir du moment où les choses sont moins évidentes qu'elles en ont l'air, plus singulières, elles sont plus universelles, sinon elles sont simplement conventionnelles. Je n'ai jamais été attiré par les formules conformistes.»

Vous avez déclaré avoir été particulièrement ému par les films de Demy à l'époque de la Nouvelle Vague car c'étaient les seuls à vous renvoyer «une certaine complicité homosexuell(1). Des films d'aujourd'hui vous touchent-ils de ce point de vue ?

«C'est vrai, ses films me touchent d'ailleurs encore beaucoup, ceux de Visconti aussi mais Demy était le cinéaste français de la Nouvelle Vague à m'avoir le plus touché à l'époque. Ces derniers temps, je n'ai pas eu beaucoup le temps de voir des films. Je n'ai pas vu "Happy together", de Wong Kar-wai, dont on m'a beaucoup parlé. Mais c'est pas parce qu'il y a des personnages homosexuels dans un film qu'à priori ça m'attire. Je ne vais pas voir ces films là à la recherche d'un effet de miroir qui pourrait me rassurer ou me satisfaire, ce n'est pas pour ça que je vais au cinéma. D'ailleurs on me reproche parfois dans mes films de ne pas plus rassurer les homos que les hétéros. Je n'ai pas envie de faire des films rassurants mais plutôt des films qui font peur. C'est ce qui me fait peur que j'ai envie de montrer au cinéma. Ce qui me déçoit dans beaucoup de films c'est que l'histoire manque d'envergure. Je n'ai pas peur des outrances de la fiction, et le cinéma qui patauge dans le naturalisme ou le documentaire ne m'excite pas, car pour moi ce n'est pas une aventure de cinéma.»

À propos de "L'Arrière-pays" de Jacques Nolot…

«Jacques est un copain. C'est un film que j'aime beaucoup. Il est très documentaire, Jacques y va carrément, il raconte sa vie. C'est un film complètement biographique, il le dit lui-même.»

Quel travail d'adaptation avez-vous effectué sur les deux scénarios de Jacques Nolot que vous avez filmés ?

«"La Matiouette" est une pièce à laquelle je n'ai pas touchée. Je l'ai filmée telle quelle. J'ai dû enlever une phrase c'est tout. En revanche, "J'embrasse pas" a été modifié par mes soins. Dans son scénario, le jeune héros quittait sa province pour aller à Paris où il se prostituait et découvrait son homosexualité en se prostituant. Pour moi, c'est comme si ces deux sujets s'annulaient. J'ai préféré que le personnage soit conduit peu à peu, étape par étape, à la prostitution mais qu'il nie  jusqu'au bout son homosexualité, même s'il avait des partenaires homosexuels, ce qui me paraissait plus intéressant et plus juste. Pour lui, c'était pour de l'argent et rien d'autre. En parallèle, il tombe amoureux du personnage d'Emmanuelle Béart. La découverte de l'homosexualité c'était pour moi un autre sujet en soi que j'ai traité ensuite dans "les Roseaux sauvages" à travers l'adolescence.»

Propos recueillis par Jérôme Gac
le 19 octobre 1998, à Toulouse



(1) "Ex-aequo" n° 5 - mars 1997

"Quand on a 17 ans", sortie le 30 mars.

Avant-premières, en présence d'André Téchiné:


jeudi 17 mars, 20h00, au Gaumont Opéra,
2, boulevard des Capucines, Paris.

samedi 19 mars, 21h00, au Ciné 32,
allée des Arts, Auch. Tél. : 08 92 68 13 32.

mardi 22 mars, 21h00, au Cinéma Rex,
passage Lassus-Nestier, Bagnières-de-Luchon. Tél. : 05 61 79 00 52.