Cinéaste américain et indépendant, Jim Jarmusch fait l’objet d’une rétrospective à la Cinémathèque de Toulouse.
«Je
me suis lancé dans la réalisation de "The Limits of Control" (2009) en
enlevant tout ce que le public pourrait en attendre, le drame,
l’action, le sexe, non par esprit de provocation, mais pour défendre
l’idée que le cinéma est un art qui peut être mineur, personnel,
poétique et libre», assurait dernièrement Jim Jarmusch, cinéaste qui fait actuellement l'objet d'une rétrospective à la Cinémathèque de Toulouse.
Figure
emblématique et indétrônable du cinéma indépendant américain, Jim
Jarmusch est issu de la scène new-yorkaise de la fin des années 1970. Il raconte à ce sujet:
«C'était une scène vraiment dissidente, assez romantique, où l'on se
sentait comme des hors-la-loi. En communion avec les poètes maudits du
XIXe siècle dont on empruntait l'attitude ou le patronyme (Tom Verlaine,
Amos Poe, Richard Hell...). À l'époque, je me voyais d'ailleurs devenir
poète ou guitariste plutôt que cinéaste. Dans cette bande, personne ne
se laissait enfermer dans un simple registre. Nous avions le formatage
en horreur. Patti Smith peignait, écrivait et travaillait avec le
photographe Robert Mapplethorpe, Alan Vega faisait des sculptures,
Jean-Michel Basquiat était DJ... Nous poursuivions l'héritage des poètes
de la Beat generation, qui vivaient à des années-lumière du monde du
commerce et n'avaient d'autre ambition que de s'éclater dans tous les
domaines.»(1)
Révélé
à Cannes par le noir et blanc beckettien de "Stranger than Paradise",
sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, il quitta le festival avec
la Caméra d’or en poche – et Wim Wenders avec la Palme d’or pour "Paris
Texas". C’était il y a tout juste trente ans, en 1984. Lentement mais
sûrement, Jim Jarmusch s’est imposé dans le paysage du cinéma d’auteur
avec une série de films contemplatifs et nocturnes. À la croisée du
road-movie et du burlesque keatonien, ses héros souvent mélancoliques
tentent de trouver leur place dans un monde dont ils sont exclus.
Le cinéaste assurait en 1989: «Lorsque tu vois un film de Lucas ou de Spielberg, tout le monde est
blanc, tout le monde est chrétien, tout le monde appartient à la middle
class, tout le monde a les mêmes valeurs – l’argent, la famille,
l’efficacité économique. Tout cela va de soi. Ça m’ennuie, ça me
fatigue… Ça ne m’intéresse vraiment pas d’écrire un film sur les
Américains moyens.»(2)
Le
cinéma de Jarmusch est le lieu de la rencontre. Sur leur route, les
personnages se frottent à d’autres individus, le temps de quelques
scènes ("Dead Man", "Broken Flowers") ou pour le temps d’un film
("Stranger than Paradise", "Down by Law"). Dans "Night on Earth",
Jarmusch fait le tour du monde en cinq sketches, mettant en scène dans
chacun d’eux un chauffeur de taxi au volant avec son client. Soit un
hommage à la planète cinéma, à travers la présence d’acteurs vus chez
Cassavetes (Gena Rowlands), Fassbinder (Armin Mueller-Stahl), Ferreri
(Roberto Benigni), Pasolini, Kaurismaki, Doillon (Béatrice Dalle),
Claire Denis (Isaach de Bankolé).
Jim Jarmusch confesse: «Lorsque
vous vous retrouvez devant une feuille, la notion de forme est tout ce
qui importe, plus que le sujet. Prenez le "Decameron" de Boccace, des
gens se retrouvent dans un endroit et se racontent des histoires. Tous
les récits s'emboîtent les uns aux autres. Une mise en abîme
vertigineuse ! Cette construction narrative a directement inspiré la
structure de mes films, "Night on Earth" et "Mystery Train". La
littérature a toujours irrigué mes films: "Les chants de Maldoror" dans
"Permanent Vacation", William Blake dans "Dead Man", Robert Frost dans
"Down By Law". Avant de commencer un film, je ne sais jamais quelle
forme il va avoir, alors je tourne un maximum de choses. Le scénario est
comme une carte dont le film a besoin. Au montage j'écoute mon film et
j'affine les choses.»(3)
En
1996, Jim Jarmusch filme la tournée de Neil Young avec le groupe de
garage-rock Crazy Horse. De cette épopée musicale naît un documentaire :
"Year of the Horse". Cette expérience est le fruit d’une première
collaboration entre le cinéaste et Neil Young qui composa la musique de
"Dead Man", en 1995. La musique est étroitement liée à la filmographie
de Jim Jarmusch ; ce dernier affirme: «La musique est la source de mes films. Les disques
que j'écoute avant d'écrire un scénario font naître mes idées, me
suggèrent la direction à prendre. Je me suis toujours enthousiasmé pour
l'articulation entre les images et les différentes tonalités. Quand
j'avais 20 ans, je passais des heures, à New York, à ma fenêtre, à
observer l'agitation de la rue, à laisser mon esprit vagabonder, à voir
se former des images en fumant de l'herbe et en écoutant du dub ou du
jazz des années 1930. C'est un bonheur de pouvoir poursuivre cette
expérience sur grand écran, dans l'ambiance magique d'une salle de
cinéma.»(1)
Jérôme Gac
"Only Lovers left alive" © Le Pacte
(1) Télérama (12/02/2014)
(2) Les Inrockuptibles (Octobre 1989)
(3) Studio Ciné Live (Février 2014)
Du 9 au 28 septembre 2014, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.
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