vendredi 14 octobre 2016

Le clown





















Pierre Étaix s'est éteint à l'âge de 87 ans, le 14 octobre 2016. Le mois dernier, il avait annulé sa venue à Toulouse où il devait participer au Festival international du Film grolandais qui lui rendait hommage à la Cinémathèque de Toulouse. Retour sur le parcours d’un artiste atypique aux multiples talents.

Ses films sont longtemps restés invisibles en raison d’un imbroglio juridique de vingt ans. Une fois le litige résolu, Pierre Étaix est venu présenter en 2011 l’intégrale de son œuvre à la Cinémathèque de Toulouse. On devait le retrouver en septembre dernier dans la Ville rose, à l’invitation du Fifigrot. Souffrant, il avait finalement annulé sa participation au Festival international du Film grolandais de Toulouse qui lui a rendu un heureux hommage en forme de carte blanche, avec la projection de ses deux premiers courts métrages ainsi que "Pays de Cocagne". Il s'est éteint le 14 octobre, à l'âge de 87 ans.


Artiste atypique aux multiples talents, Pierre Étaix avait débuté sur les scènes de cabarets et de music-halls parisiens: «Au music-hall, je faisais mon numéro avec une moustache, une veste trop grande, un pantalon en accordéon, jusqu'au jour où un directeur de cabaret m'a fait remarquer que je serais beaucoup plus drôle en smoking, comme Tino Rossi. Ce fut le déclic ! Un type en habit qui perd son bouton ou cherche à cacher une imperfection vestimentaire fait beaucoup plus rire qu'un type vêtu comme vous et moi et dont la manche de chemise est trop longue.»(1) Pierre Étaix s'est inspiré du slapstick, l'école du burlesque muet américain dont les virtuoses furent Buster Keaton, Harold Lloyd, Charlie Chaplin et Laurel et Hardy. 

Il a collaboré avec Jacques Tati pour "Mon oncle", une expérience qui débouchait au début des années soixante sur la réalisation de deux courts métrages : "Rupture" (photo) et "Heureux anniversaire". Le second remportera l'Oscar alors que son premier long - dont il est également l'interprète - était déjà tourné. "Le Soupirant" et les quatre films qui suivront sont cosignés avec Jean-Claude Carrière. Entamée avec les courts métrages, cette collaboration de dix ans avec le scénariste de Luis Buñuel accouchera d'un cinéma peu dialogué qui enchaîne les gags visuels soigneusement élaborés à la manière d'un artisan.

Doué pour le dessin, Pierre Étaix confessait à propos de ce talent: «Ce que j'ai appris sur le rythme des couleurs, des lignes, l'équilibre des noirs et blancs, le souci du cadre, a influencé tout ce que j'ai fait au cinéma. Et d'ailleurs, sur le plateau, mes croquis de personnages, des costumes, des décors, valaient mieux qu'un long discours.»(1) Yoyo, son personnage fétiche, est né d’un dessin avant de devenir ce clown arpentant les chapiteaux de cirque dans toute l’Europe durant les années soixante. Pour le grand écran, il réalisera "Yoyo" en 1965, multipliant les clins d'œil à ses maîtres du muet et rendant hommage au cirque sous les traits d’un Max Linder itinérant. 


Face à la modernité galopante du monde, une certaine nostalgie irradie l'univers de Pierre Étaix, notamment dans "Tant qu'on a la santé" et "le Grand Amour", à la fin des années soixante. Dans "Pays de cocagne", documentaire filmé sur les plages, son personnage lunaire disparaît de l'écran au bénéfice d'un portrait sans concession de la France en vacances. L'accueil est si glacial en 1970 que sa carrière de réalisateur s’interrompt. «Etre comique, c'est suspect ! Nous représentons un art mineur, méprisé ! Lorsqu'il s'agit de tourner un film dramatique, ou un film d'action, on déploie des moyens exceptionnels, on trouve normal de mobiliser des gens de qualité, des spécialistes des effets spéciaux, des cascadeurs... Lorsqu'il s'agit d'un film comique, c'est toujours trop cher, c'est de la folie ! On ne rencontre que des casseurs d'enthousiasme !»(1), confessera Pierre Étaix.

Il poursuivra ses activités au théâtre et à la télévision, et créera l’École nationale de Cirque avec sa femme Annie Fratellini. Retraçant son parcours protéiforme sous la forme d’un abécédaire, il venait de publier un ouvrage, "C’est ça Pierre Étaix"(2), où se télescopent ses dessins, ses affiches, ses jeux de mots, etc. 

Jérôme Gac
"Rupture" © Carlotta Films
 

(1) Le Monde (04/07/2010)
(2)
Séguier (2015)
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire