vendredi 7 décembre 2018

Éloge du factice














Alors que le comédien se produit sur la scène de la Cave Poésie dans "la Chasse au snark" de Lewis Carroll, Denis Lavant est aussi l’invité de la Cinémathèque de Toulouse.


La Cave Poésie accueille une nouvelle fois le comédien Denis Lavant, avec Laurent Paris aux percussions et Camille Secheppet au saxophone, pour la fin de leur triptyque anglais. Après "le Dit du vieux marin", de Samuel Taylor Coleridge, puis "la Ballade de la geôle de Reading", d’Oscar Wilde, créée l’année dernière à Toulouse, le trio présente ces jours-ci "la Chasse au snark", de Lewis Carroll. Sous-titré "Délire en huit crises", ce texte est un poème drôle et sinistre aux accents absurdes.


À l’occasion des représentations de "la Chasse au snark", Denis Lavant est l’invité de la Cinémathèque de Toulouse qui projette neuf films puisés dans sa filmographie. Trois d’entre eux sont signés Leos Carax, dont il est devenu l'acteur fétiche depuis leur rencontre pour "Boy meets girl", en 1984. Il interprète Alex – qui est aussi le véritable prénom de Carax –, poète écorché vif et amoureux qu'on retrouve dans "Mauvais sang" en 1986. Quatre ans plus tard, le cinéaste le choisit à nouveau pour incarner le personnage d'Alex, clochard magnifique et passionné, dans "les Amants du Pont-Neuf" aux côtés de Juliette Binoche. Cette grosse production au tournage chaotique connaîtra un échec public. «Leos Carax a perçu en moi une capacité de jeu naturaliste mais physique, excentrique, c’est le premier qui m’a fait danser... D’autres réalisateurs, ensuite, l'ont fait également, comme Claire Denis… Je ne comprenais pas ce que je faisais mais Leos Carax m’a vu. Je suis heureux d’être tombé sur lui ou sur d’autres metteurs en scène qui ont projeté sur moi un imaginaire qui n’était pas celui, conventionnel, des cours de théâtre», confiait récemment le comédien.


Denis Lavant brille à la tête d’un groupe de légionnaires dans "Beau travail" (1995), de Claire Denis, d’après la nouvelle "Billy Budd" d'Herman Melville, ou encore dans le rôle-titre de "Capitaine Achab" (2007), de Philippe Ramos, inspiré de "Moby Dick" du même Melville. Mais c’est le théâtre qu’il chérit particulièrement : «Le comédien est forcément dans une création, dans une proposition, lui-même matériau et démiurge de son jeu. Le théâtre est un exercice qui n’a pas son pareil, un acte archaïque, un phénomène humain de l’ordre de la cérémonie magique, une assemblée de gens qui accepte de croire qu’un groupe d’artisans sont des personnages d’une histoire fictive. Ils acceptent cette illusion et d’être à distance et partie prenante de ce qui est en train de se raconter. Au cinéma, c’est factice. Je ne tiens pas à tourner absolument au cinéma car c’est rentrer dans un domaine factice qui veut faire croire que c’est du réel : on a davantage tendance à identifier l’acteur à son personnage, il y a une sorte de confusion que je trouve bête. J’ai aimé en faire, j’aime en faire mais je me méfie du cinéma, dans ce que ça implique dans la relation humaine. Je continue l’artisanat du théâtre car c’est un des seuls endroits de l’existence où on peut être sans arrière-pensée dans du présent, vivre un présent le plus absolu possible...», assurait-il au micro de France Culture.(1)
 

Jérôme Gac
photo: "Beau travail"
 
(1) "Les Masterclasses", France Culture (2017)
 


Rétrospective, du 8 au 21 décembre, à La Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.
 

"La Chasse au snark", du 10 au 14 décembre, à la Cave Poésie - René-Gouzenne,
71, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 61 23 62 00.