mercredi 30 septembre 2020

Mary, Ida, Gena et les autres


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Cinémathèque de Toulouse invite cette saison à un voyage dans l’Amérique de Chaplin jusqu’à la Russie de Zviaguintsev, en passant par l’Argentine de Piñeiro et l’Italie de Sorrentino.

Cet automne, dans le cadre du festival Cinespaña, la Cinémathèque de Toulouse s’intéresse aux comédies musicales déjantées (photo) produites sous le régime de Franco, puis célèbrera les vingt ans des studios d’animation TAT – société de production née à Toulouse –, avant de ressortir à la fin de l’année des films de la Hammer, fameux studio britannique spécialisé dans le fantastique et l’horreur gothique.

Cet hiver, la thématique «De l’usage du faux» est annoncée en partenariat avec le festival L’Histoire à venir, puis des films de l’ex-Yougoslavie seront projetés, et un cycle printanier permettra d’apprécier diverses représentations de la féminité à travers la figure de la sorcière, suivi d’une programmation consacrée à l’expérimentation à la télévision française. Il sera également question de cinéma africain et des images de la guerre en Syrie.

Plusieurs cinéastes seront à l’honneur, avec des rétrospectives dédiées aux Américains Charlie Chaplin, Ida Lupino, John Cassavetes et David Fincher, à la documentariste brésilienne Maria Augusta Ramos, à l’Argentin Matías Piñeiro (dans le cadre du festival Cinélatino), à l’Italien Paolo Sorrentino, au Hongrois Béla Tarr, au Russe Andreï Zviaguintsev (dans le cadre des Musicales franco-russes), et aux Français Gaspard Noé et Jean-Denis Bonan. Enfin, on reverra les chefs-d’œuvre adaptés des pièces de Tennessee Williams.

Annoncée à l’automne, la quatrième édition du festival Histoires de Cinéma est centrée sur la fabrication du cinéma, ses techniques et ses techniciens, avec des cartes blanches confiées à l’écrivain et réalisateur Emmanuel Carrère, au directeur de la photographie Philippe Rousselot, et à l’agent d’acteurs Élisabeth Tanner. Quant à l’équipe d’Extrême Cinéma, elle prépare la vingt-deuxième édition du festival incorrect de la Cinémathèque de Toulouse, avec sa dose habituelle de Cinéma Bis, films d’exploitation, blockbusters déviants et autres films cultes ou totalement oubliés… mauvais goût assuré !

Le fil rouge de la saison des ciné-concerts rassemble des films de Mary Pickford et de Douglas Fairbanks Sr, couple mythique d’acteurs du cinéma muet et fondateurs, avec Chaplin et David W. Griffith, de la United Artists (société de production et de diffusion) leur garantissant une indépendance artistique et financière au sein du système hollywoodien. Trois ciné-concerts seront également à l’affiche de la nouvelle édition printanière des Musicales franco-russes.

À l’approche des fêtes de fin d’année, un festival dédié au jeune public propose trois jours d’ateliers, de séances accompagnées et de rencontres. Dans le hall de la salle de la rue du Taur, six expositions se succèderont au fil des mois: pour débuter la saison, l’illustrateur René Péron, qui a traversé l’histoire du cinéma des années vingt aux années soixante ; des portraits de stars et des photos de tournage signés Léo et Yves Mirkine ; les sorcières au cinéma ; des affiches de films peintes à la main sur des sacs de farine et destinées aux devantures des cinémas du Ghana ; l’affichiste Yves Thos, durant l’été ; etc.

Jérôme Gac

photo : "Le Labyrinthe des passions", de P. Almodóvar


«¡Pánico Pop! Subversion en Espagne, des yéyés à la Movida»,
dans le cadre de Cinespaña, du 3 au 11 octobre ;
«Ida Lupino, juste une cinéaste ou une cinéaste juste?»,
du 14 octobre au 3 novembre ;
«Gaspard Noé, seul contre tous», du 14 octobre au 4 novembre ;
Maria Augusta Ramos, du 28 octobre au 4 novembre ;
Festival Histoires de Cinéma, du 6 au 14 novembre, etc.

À la Cinémathèque de Toulouse
, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. 05 62 30 30 10.

 

dimanche 13 septembre 2020

Du côté de Groland


 

 

 

 

 

 

 

 

 


La neuvième édition du Festival international du Film grolandais de Toulouse regarde vers le(s) «Monde(s) d’après», et invite Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Jan Kounen, Jacques Barbéri, etc.

Projections de courts et longs inédits, documentaires, concerts, théâtre, performances, expositions, rencontres littéraires sont chaque année au menu du Festival international du Film grolandais de Toulouse. Pour cette édition du Fifigrot, qualifiée de «Mini» par les organisateurs de l’association À Côté car un poil plus light que de coutume en raison des incertitudes liées à l'épidémie, les invités et les grosses fêtes seront moins nombreux, mais les films en avant-première, les raretés et pépites décalées, les satires sociales ou à l’humour déjanté seront bien au rendez-vous.

L’Amphore d’or du film le plus grolandais pioché dans la compétition sera décernée par l'humoriste Blanche Gardin – qui est à l'affiche de "Effacer l'historique", nouvel opus du duo grolandais Benoit Delépine et Gustave Kervern. Comme toujours, le public sera invité à décerner son prix parmi ces films «d’esprit grolandais», ainsi qu’un jury constitué d’étudiants, sans oublier le fameux prix Michael Kael. La compétition des longs métrages réunit notamment les nouveaux films de Quentin Dupieux et de Roy Anderson, ou encore "l'Origine du monde" (photo) de l'acteur Laurent Lafitte – avec Karin Viard, Vincent Macaigne, Nicole Garcia et Hélène Vincent. Plusieurs ouvrages concourent également pour le Gro Prix de littérature grolandaise.

Côté avant-premières, on verra en plein air "Lux Æterna" de Gaspard Noé, au Port Viguerie, et "Mon cousin" de Jan Kounen, qui présentera également ses courts métrages ainsi qu'une carte blanche à la Cinémathèque de Toulouse. Outre les traditionnelles sections Made in Ici, Gro Zical, Grolandais de l'Année ou Midnight Movies, une soirée insolite exhibera à l'ABC deux films érotico-surréalistes puisés dans la collection déviante d'Emmanuel Rossi.

Actualité oblige, cette édition sera placée sous le signe de la thématique «Monde(s) d’après», l'occasion de voir les œuvres de cinéastes (fictions et documentaires) consacrées à ceux qui ont imaginé d’autres manières de vivre – avec bien sûr un regard incisif – ainsi que ceux qui questionnent notre présent et ses excès. Cette programmation futuriste sera notamment l’occasion pour l’auteur de science-fiction Jacques Barbéri de présenter une carte blanche, le temps d’une soirée et de deux films.

En partenariat avec le collectif Bar Bars, la traditionnelle programmation Ciné Bistrot est cette année réduite à une seule soirée de courts métrages projetés au Taquin. Installé dans l'enceinte du Port Viguerie, le Gro Village accueillera évidemment moult animations grolandaises, au bord de la Garonne. Bienvenue au Groland !

Jérôme Gac
 

Fifigrot, du 13 au 20 septembre, à Toulouse ;
Grovillage, du mercredi au samedi, de 14h00 à minuit (mercredi à partir de 18h00), au Port Viguerie
, rue Viguerie, Toulouse.

 

samedi 18 juillet 2020

Sous les étoiles


















À la nuit tombée, les films s’exhibent en plein air tout l’été, dans la cour de la Cinémathèque de Toulouse.
 
Après quatre mois de fermeture imposée par la crise sanitaire, les projections reprennent à la Cinémathèque de Toulouse, à l'occasion de la traditionnelle programmation estivale: pour la seizième année, le grand écran est installé en plein air, sous les arbres de la cour de la rue du Taur. Chaque film annoncé est présenté à la fois en extérieur, à la nuit tombée, mais également en salle en début de soirée. 


De nombreux classiques fourmillent dans cette nouvelle sélection d’une trentaine de films, où les stars seront au rendez-vous : Audrey Hepburn, Rita Hayworth, Sophia Loren, Simone Signoret, Brigitte Bardot, Julia Roberts, Marcelo Mastroianni, Gene Kelly, Orson Welles, Kirk Douglas, Tony Curtis, Kevin Costner, Robert De Niro, Sean Connery, Michel Piccoli, Louis de Funès, Bourvil, Jean Gabin, Philippe Noiret, Hugh Grant, Marcello Mastroiani, James Dean, John Travolta, Antonio Banderas, etc. Comme de coutume, divers genres sont représentés : la comédie débridée ou romantique, le musical, le mélodrame, le fantastique, le road-movie, le polar ou le film noir, sans oublier les grands auteurs. 

Parmi les titres annoncés : "Jour de fête" de Jacques Tati, "Le Narcisse noir" de Michael Powell et Emeric Pressburger, "Les Diaboliques" de Henri-Georges Clouzot, "À l'est d'Eden" (photo) d'Elia Kazan, "La Traversée de Paris" de Claude Autant-Lara, "Un Américain à Paris" de Vincente Minnelli, "Le Fanfaron" de Dino Risi, "Diamants sur Canapé" de Blake Edwards, "Mariage à l'italienne" de Vittorio De Sica, "Le Mépris" de Jean-Luc Godard, "Monthy Python: Sacré Graal" de Terry Guilliam et Terry Jones, "Série noire" d'Alain Corneau, "Sang pour sang" des frères Cohen, "Retour vers le futur" de Robert Zemeckis, "Cinema Paradiso" de Giuseppe Tornatore, "Les Incorruptibles" de Brian De Palma, "Coup de foudre à Notting Hill" de Roger Michell, "Billy Elliot" de Stephen Daldry, "Camille redouble" de Noémie Lvovsky, "Snowpiercer, le Transperceneige" de Bong Joon-Ho, "La Piel que habito" de Pedro Almodóvar, "En Liberté" de Pierre Salvadori, etc.


Jérôme Gac


Jusqu'au 9 août à 22h00, du 12 au 29 août à 21h30, du mercredi au dimanche,
à la Cinémathèque de Toulouse
, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.


lundi 17 février 2020

Un Russe à Los Angeles
















Rétrospectives des films d’Andreï Kontchalovski à la Cinémathèque de Toulouse, dans le cadre des Musicales franco-russes, et à la Cinémathèque française.


Avant une rétrospective parisienne qui lui est dédiée à la Cinémathèque française, le cinéaste russe
Andreï Kontchalovski rencontrera le public de la Cinémathèque de Toulouse, à l'occasion d'une rétrospective de ses films présentée dans le cadre des Musicales franco-russes. Andreï Kontchalovski quitte le Conservatoire de Moscou pour cosigner les scénarios des films "l’Enfance d’Ivan" et "Andreï Roublev", d’Andreï Tarkovski. Frère du cinéaste Nikita Mikhalkov, il prend le nom de son grand père maternel et s'impose sur le devant de la scène dès son premier film, "le Premier Maître", en 1965, qui raconte les débuts d’un jeune instituteur envoyé dans un village de Kirghizie, au début des années 1920. Il poursuit ensuite une carrière longue et fructueuse, remportant deux Lions d'argent à Venise (prix décerné au réalisateur) pour "les Nuits blanches du facteur" (2014) et "Paradis" (2016), tous deux tournés en Russie. Réalisé en Italie, son dernier film, "le Péché", dresse un portrait de Michel-Ange.

Michel Ciment rappelle que «Kontchalovski appartient à la génération des années 1960, la plus brillante du cinéma soviétique depuis celle des années 1920, celle qui, grâce au dégel khrouchtchévien, redonne tout son éclat au cinéma de son pays. D'Andreï Tarkovski à Larissa Chepitko, d'Elem Klimov à Kira Mouratova, d'Otar Iosseliani à Gleb Panfilov et Alexeï Guerman, ces cinéastes, tous nés dans les années 1930, apportent un souffle nouveau. Si Kontchalovski est l'un des rares à pouvoir témoigner encore de son talent, il figure surtout parmi les grands réalisateurs qui ont su s'imposer dès leur premier film, et continuent encore aujourd'hui à créer des œuvres dignes de leurs débuts.»(1)
 

Croyant à l'indépendance et à la liberté des individus, Kontchalovski s'est construit en ennemi juré de tous les systèmes. Son deuxième film, "le Bonheur d’Assia", décrit les difficultés de la vie paysanne dans un kolkhoze avec tant de réalisme qu’il est interdit en dehors des frontières soviétiques. Il adapte ensuite Ivan Tourgueniev en 1969, avec "Nid de gentilshommes", puis Anton Tchekhov en signant l’année suivante "Oncle Vania". Après "Sibériade" (1979), grande saga familiale à travers l’histoire de la Sibérie depuis la Révolution d’octobre, il quitte l'Union soviétique pour Hollywood, où il tourne notamment pour la Cannon. Il y dirige Nastassja Kinski et Robert Mitchum dans "Maria's Lovers" (1984), Julie Andrews et Max von Sydow dans "Duet for One" (1986), Sylvester Stallone et Kurt Russell dans "Tango et Cash" (1989). Durant cette période, il tourne également "Runaway Train", ou la course infernale d’un train sans conducteur qui a pour passagers deux prisonniers en cavale.

De retour en Russie après l’éclatement de l’URSS, il décrit la fin d’une époque dans "Riaba ma poule" (1994), une suite désenchantée du "Bonheur d’Assia", mais aussi dans "la Maison de fous" (2002) qui met en scène les malades d’un hôpital psychiatrique, situé à la frontière tchétchène, livrés à eux-mêmes au début de la guerre en Tchétchénie. Pour le critique Pascal Mérigeau, «la trajectoire d’Andreï Kontchalovski est celle d’un cinéaste surdoué, qui a su passer d’un registre à un autre, d’une super-production avec vedettes à un film bricolé en toute modestie, de la Sibérie à Hollywood et retour, sans jamais rien perdre de sa maîtrise et de sa singularité. Son œuvre est une des plus passionnantes et originales du cinéma des cinquante dernières années»(2). Auteur de "Ni dissident, ni partisan, ni courtisan"(3), livre de conversations avec le cinéaste, Michel Ciment constate que «Andreï Kontchalovski a une incroyable capacité de métamorphose, il se réinvente à chaque film.»


Jérôme Gac

"Les Nuits blanches du facteur" © ASC Distribution



(1) cinematheque.fr
(2) forumdesimages.fr
(3) Actes Sud (2019)


 

Rétrospectives :
du 18 février au 18 mars, à la Cinémathèque de Toulouse
;
du 17 mars au 8 avril, à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris (XIIe).
 

Rencontre avec A. Kontchalovski, animée par Michel Ciment,
vendredi 13 mars, 19h00, à la Cinémathèque de Toulouse
(entrée libre),

69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.

vendredi 7 février 2020

Mauve égout





 











Festival de la Cinémathèque de Toulouse, Extrême Cinéma propose une semaine de cinéma bis et invite notamment Jean-Pierre Dionnet et Éric Cherrière.
 

Concocté par la Cinémathèque de Toulouse depuis vingt-deux ans, Extrême Cinéma est le rendez-vous annuel des amateurs de cinéma bis. Du ciné-concert d’ouverture à la longue nuit de clôture, le festival invite à une semaine de cinéma décalé. Films maudits du patrimoine, classiques atypiques, films culte ou oubliés constituent le menu de cette manifestation dédiée au cinéma différent.
 

Constatant que le cinéma de genre est de nos jours célébré dans les plus prestigieux festivals internationaux, tout en étant très prisé par le public, les organisateurs d’Extrême Cinéma voient dans ce phénomène très récent «une forme de normalisation qui s’installe, déplaçant le champ du choquant. "Le Genou de Claire" d'Éric Rohmer ou "Lolita" de Stanley Kubrick dérangeraient plus aujourd’hui qu’une "Ilsa", louve SS. Car le mauvais genre est déjà ailleurs. Un code Hays nouveau millénaire frappe déjà à la porte (...)».
 

Des cartes blanches sont confiées cette année à Vanessa Morgan, auteure et programmatrice au festival Off Screen de Bruxelles, à l’écrivain Éric Arlix, au plasticien Manuel Pomar, directeur artistique du Lieu-Commun, à la performeuse Marie Savage Slit, et à Jean-Pierre Dionnet, journaliste, scénariste et éditeur de bandes dessinées. Côté avant-premières, Richard Stanley et Éric Cherrière présenteront leur nouveau film, et Jérôme Sage accompagnera "la Volonté du mort" (The Cat and the Canary), de Paul Leni, en ouverture des festivités.
 

Outre moult animations musicales et performatives dans le hall de la Cinémathèque et la traditionnelle séance «Juniors de l'Extrême», on annonce l’exposition "Dangereuses visions" au Lieu-Commun et une soirée «survivalisme» au Muséum de Toulouse. Enfin, toujours interdite au moins de 18 ans, la fameuse nuit de clôture affiche quatre longs métrages, mais aussi des courts, des bandes-annonces, des documents audiovisuels de l’INA, et débutera par la remise du prix du meilleur court métrage Extrême décerné par un jury d’étudiants toulousains.

Jérôme Gac

photo: "Serial Mother"
 


Extrême Cinéma, du 7 au 15 février.
 

À la Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 10.
Au Muséum de Toulouse, 35, allées Jules-Guesde, Toulouse. Tél. 05 67 73 84 84.
Au Lieu-Commun, 25, rue d’Armagnac, Toulouse. Tél. 05 61 23 80 57.


mardi 7 janvier 2020

Ennemies publiques


 

















La Cinémathèque de Toulouse revient sur la carrière de Bette Davis et de Joan Crawford, deux actrices rivales à Hollywwod.

L'année débute à la Cinémathèque de Toulouse avec un portrait croisé de Bette Davis et Joan Crawford qui rayonnèrent à Hollywwood durant plusieurs décennies. Actrices rivales, elles se haïssaient copieusement. Elles ont pourtant partagé l’affiche dans "Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?" (photo), de Robert Aldrich. Mais, pourquoi tant de haine ? Réponse en treize films tournés entre 1932 et 1962...


Repérée à Broadway par le studio Universal, Bette Davis a pourtant du mal à s’imposer à ses débuts, en raison d’un physique trop peu glamour pour le grand écran. Accueillie à la RKO, c’est finalement à la Warner Bros qu’elle se forgera une nouvelle personnalité au début des années trente, où elle est l'objet des attentions maniaques des coiffeurs et costumiers du studio. Michael Curtiz comprend alors ce que son jeu a de singulier: il lui offre dans "Ombres vers le sud" un personnage à sa mesure qui annonce les interprétations sulfureuses qu'elle donnera par la suite. Elle tournera cinq autres films avec le cinéaste au cours de la décennie, jusqu’à "la Vie privée d’Elizabeth d’Angleterre" (1939). Entre temps, faute de rôles à son goût, elle aura quitté Hollywood pour Londres d'où elle a intenté un procès contre la Warner. Elle le perd et retourne à Hollywood. Une fois les producteurs convaincus de son talent, elle devient la star de la Warner. 


Pour Jean-François Rauger, «son jeu est d’une précision technique époustouflante. Un infinitésimal mouvement de ses grands yeux, de la bouche, des bras, ajouté au placement toujours sûr de sa voix, peut traduire une violence intense. Le maximum d’émotion est obtenu avec le minimum d’action. Le mélange de coquetterie et de cruauté féminine qui s’affirme dans ses personnages est rarement dénué d’une ambivalence, que les trois films qu’elle fait avec William Wyler, "Jezebel" (1938), "la Lettre" ("The Letter", 1940), "Little Foxes" (1941) portent à un haut degré de précision et de perfection.»(1) En fin de contrat, elle quitte la Warner en 1949 et triomphe aussitôt avec "All about Eve", de Joseph L. Mankiewicz. Le rôle de Margo Channing, star du théâtre, tour à tour charmante et odieuse, constitue le sommet de sa carrière.


En 1962, elle partage l’affiche avec Joan Crawford dans "Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?", de Robert Aldrich. Monstres sacrés de l’époque, les deux stars interprètent dans cet huis clos hystérique deux sœurs actrices, la carrière de l’une ayant décliné lorsque la seconde a connu la gloire à Hollywood avant de perdre l’usage de ses jambes à la suite d’un accident mystérieux… Cherchant à relancer sa carrière, Joan Crawford avait alors insisté pour que Bette Davis soit sa partenaire. Les deux femmes n’avaient jamais travaillé ensemble, elles se haïssaient depuis près de trois décennies ! 


En 1935, Bette Davis était en effet tombée folle amoureuse de Franchot Tone, son partenaire dans "l’Intruse" – film pour lequel elle remporta l’Oscar de la meilleure actrice. Mais Franchot Tone épousera John Crawford qui lui avait fait des avances, et Bette Davis ne pardonnera jamais à sa rivale son attitude : «Elle l'a fait froidement, délibérément et sans pitié. (…) Elle a couché avec tous les mâles de la MGM – sauf Lassie», déclare-t-elle en 1987. Et si "Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?" fut un très grand succès, John Crawford dut subir pendant le tournage les vacheries à répétition de sa partenaire toujours aussi remontée, au point qu’elle refusa de tourner de nouveau avec Bette Davis, deux ans plus tard, dans "Chut… chut, chère Charlotte", toujours réalisé par Aldrich. Les deux films du cinéaste inscrivent le corps d’une actrice vieillissante dans l’histoire d’un système qui touche à sa fin, celui de l’âge classique d’Hollywood.


Joan Crawford est une autre de ces stars qui ont marqué l'âge d'or d'Hollywood. Sa carrière embrasse sur cinquante ans les différentes périodes du cinéma des grands studios. Elle a fait ses débuts au temps du muet, en 1925, et a été filmée par les grands cinéastes de son temps: Tod Browning, George Cukor, Otto Preminger, etc. Fidèle à la MGM jusqu'en 1943, elle y tourne une trentaine de films, dont "Mannequin" (1937) de Frank Borzage. Après la Seconde Guerre mondiale, elle entame une nouvelle carrière à la Warner, en rivalité affichée avec Bette Davis. Elle reçoit l’Oscar pour son interprétation de la mère meurtrière par amour pour sa fille dans "Mildred Pierce" (1945), de Michael Curtiz. 


Elle ne cesse alors d’enchaîner les succès commerciaux avec des personnages au passé équivoque qui exploitent toutes ses capacités d’actrice: "Humoresque" (1946), "la Possédée" ("Possessed", 1947), "Boulevard des passions" ("Flamingo Road", 1949) et "l’Esclave du gang" ("The Damned Don’t Cry", 1950) ont pour héroïne une femme tourmentée faisant face à de sombres malheurs, dont elle est souvent responsable. La force des personnages qu’incarne alors Joan Crawford – on affirma qu’elles étaient des super-femmes – est telle que celles-ci effacent le plus souvent les présences masculines, en général des rôles de faibles et de pauvres types. Les spectatrices représentent à cette l’époque l’essentiel du public de cinéma et les productions dans lesquelles l’actrice joue sont des «films de femmes». 


En 1952, elle devient indépendante des studios. Elle tourne deux ans plus tard sous la direction de Nicholas Ray dans "Johnny Guitar", un western baroque où elle se met dans la peau d’une tenancière de bar, un de ses plus beaux rôles. Selon François Truffaut, ce film «a été fait sur mesure pour Joan Crawford, comme "l'Ange des maudits" de Fritz Lang pour Marlene Dietrich. Joan Crawford fut l’une des plus belles femmes de Hollywood ; elle est aujourd’hui hors des limites de la beauté. Elle est devenue irréelle, comme le fantôme d’elle-même. Le blanc a envahi ses yeux, les muscles de son visage. Volonté de fer, visage d’acier (sens à peine figuré). Elle est un phénomène. Elle se virilise en vieillissant. Son jeu crispé, tendu, poussé jusqu'au paroxysme par Nicholas Ray constitue à lui seul un étrange et fascinant spectacle».(2)


Jérôme Gac

"Qu'est il arrivé à Baby Jane" © collections La Cinémathèque de Toulouse



(1) lacinematheque.fr
(2) "Arts" (23/02/1955)


«Davis vs Crawford», du 7 janvier au 6 février,
à la Cinémathèque de Toulouse
, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. 05 62 30 30 10.