mardi 21 novembre 2017

La mauvaise réputation
















Une rétrospective dédiée à Henri-Georges Clouzot à la Cinémathèque de Toulouse, quarante ans après la mort du cinéaste français.
 

Figure incontournable de l’histoire du cinéma français, Henri-Georges Clouzot est cette année à l’honneur. Plusieurs de ses films ayant été restaurés, ils sont de nouveau à l’affiche dans quelques salles de l’hexagone, et le cinéaste a fait l’objet de rétrospectives à la Cinémathèque française à Paris, à l’Institut Lumière à Lyon et aujourd’hui à la Cinémathèque de Toulouse. Né en 1907, d’abord scénariste, Henri-Georges Clouzot fait ses débuts de réalisateur sous l’Occupation en signant en 1942 son premier long métrage, "l'Assassin habite au 21", une comédie policière parfaitement huilée. L’année suivante, "le Corbeau", chef-d'œuvre du réalisme noir, lui vaut d’être viré de la firme allemande Continental, puis d’être temporairement exclu de la profession à la Libération. «Aucun cinéaste n'aura plus lucidement vu venir le temps des assassins, dans toute l'acception collective du terme : un temps où chaque Français moyen peut s'avérer un salaud, où les catégories humanistes de la IIIe République sont gommées par l'omniprésence du soupçon», écrit l’historien du cinéma Noël Herpe. 

En 1947, il tourne "Quai des Orfèvres" (photo), première collaboration avec Louis Jouvet. Après "le Salaire de la peur" (1952) avec Yves Montand, et "les Diaboliques" (1954) avec Simone Signoret, il poursuit du côté du film noir avec "les Espions" (1957), puis filme Brigitte Bardot dans "la Vérité" en 1960. Entre Alfred Hitchcock et Fritz Lang, son goût pour le suspense et sa vision sombre et pessimiste de l’humanité font alors de lui un maître du film noir. Peintre minutieux des descentes aux enfers, son très ambitieux projet "l’Enfer", avec Romy Schneider et Serge Reggiani, reste inachevé à la suite d’ennuis de santé de l’acteur principal et du cinéaste. L’œuvre de Clouzot trahit un permanent souci de renouvellement artistique et tend, films après films, vers l’abstraction. Passionné d’art et collectionneur, il filme l’artiste au travail dans le documentaire "le Mystère Picasso" (1955). En 1968, exploitant des recherches menées pour "l’Enfer", il inscrit son dernier film dans le milieu de l’art : "La Prisonnière" montre un couple en proie à une relation sadomasochiste. Épris de musique classique, il a également réalisé plusieurs captations de concerts dirigés par Herbert von Karajan.

Selon Noël Herpe, «du "Salaire de la peur" aux "Espions", des "Diaboliques" à "l’Enfer", Clouzot s'adonne à une surenchère spectaculaire dans l'expérimentation de la fiction et de ses pouvoirs mystifiants – jusqu'à se retrouver pris au piège de cette omniscience à la Mabuse. C'est d'ailleurs l'époque où il filme d'autres artistes, cherchant à ressaisir le mouvement de la création, quand la sienne se paralyse dans la démesure. Peut-être son génie ne s'est-il jamais mieux épanoui que sous la contrainte. C'était le cas dès "l'Assassin...", où le modèle de la comédie policière “made in Hollywood” laissait libre cours à son goût des jeux de rôles. C'est encore plus vrai dans "Quai des Orfèvres", qui marque, après le scandale du "Corbeau", un parti pris de neutralité et d'invisibilité : on y relève à peine quelques effets manifestes, comme l'enchaînement elliptique des scènes d'introduction, qui ne fait qu'ajouter à la fluidité du découpage. Surtout, c'est le seul de ses films où, sans condamner d'emblée ses personnages, Clouzot les accompagne au plus épais du quotidien, avec leurs difficultés et leurs contradictions ; quitte à les abandonner à leur devenir, à la fois plus criminels et plus humains. Peut-être fallait-il en revenir aux codes du genre pour que ce cinéaste misanthrope se réconcilie (le temps d'un chef-d'œuvre) avec ses semblables.»(1)


Extraordinaire directeur d'acteurs, il était d’une exigence trop perfectionniste pour certains. Inès Clouzot évoque ainsi l’une des qualités de son mari : «Sa franchise. Bon évidemment, il fallait lui répéter : “Ne dis pas de mal à la dame”, ou au monsieur, d’ailleurs. Et j’ai dû moi-même encaisser deux ou trois remarques difficiles à digérer. Il n’était pas tyrannique, simplement il ne pouvait s’empêcher de dire ce qu’il avait sur le cœur.»(2)
 

Jérôme Gac
"Quai des Orfèvres" © collections La Cinémathèque de Toulouse
 

(1) La Cinémathèque française
(2) Libération (10/11/2009)
 

Rétrospective, jusqu'au 26 novembre ;
exposition "le Mystère Clouzot", jusqu'au 18 juillet.
À la Cinémathèque française
, 51, rue de Bercy, Paris.


Rétrospective, du 22 novembre au 23 décembre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


lundi 20 novembre 2017

On l’appelait D. D.



















En douze films et une exposition, la Cinémathèque de Toulouse rend hommage à l’actrice Danielle Darrieux qui s’est éteinte en octobre dernier à l’âge de 100 ans.


Les cinéastes Marie-Claude Treilhou et Paul Vecchiali rendront hommage à Danielle Darrieux qui s’est éteinte en octobre 2017, à l’âge de 100 ans, à l’occasion d’une rétrospective présentée à la Cinémathèque de Toulouse. De la version française de "Château de rêve" – dirigée en 1933 par Henri-Georges Couzot – au "Jour des rois" qu’elle tourna en 1991 sous la direction de Marie-Claude Treilhou, douze films sont à l’affiche pour retracer le parcours de l’actrice qui débuta à l’écran à l’âge de quatorze ans, s’imposant aussitôt par son naturel éloigné des codes artificiels hérités du muet.


«Je travaillais le violoncelle et, comme toutes les petites filles, je voulais soigner les enfants ou aller voir les animaux malades à l'autre bout du monde. Je n'avais pas d'idée précise de mes souhaits. Le jour où l'on m'a demandé de tourner, j'ai cru que c'était une blague. Je ne me suis aperçue qu'au bout de trois semaines qu'il y avait un micro. Je ne savais pas du tout ce que je faisais. C'est pour cela que j'ai été choisie : j'étais tellement naturelle... Cela ne m'a pas gênée de dire “maman” à un charmant assistant qui me donnait la réplique dans une scène où je devais convaincre ma mère de me laisser aller au bal. Huit jours plus tard, j'ai dû faire un essai plus dramatique : j'avais toujours le même jeune homme en face de moi et ma conviction n'a pas faibli. Pourtant, en 1931, le monde du cinéma était considéré comme un lieu de perdition. Heureusement, mes parents, qui évoluaient dans le milieu de la musique de chambre, ont pris conseil auprès d'artistes qui ont su les persuader... Après ce premier film, je n'ai rien tourné pendant un an : j'étais à l'âge ingrat. J'ai fait mon deuxième film à quinze ans et cela ne s'est jamais arrêté. À partir de ce moment, j'ai compris ce qu'était le métier. Le maquillage me permettait de cacher ma timidité maladive. On ne me voyait plus rougir : j'ai ressenti comme une libération de jouer une autre que moi-même. Jouer quelqu'un d'autre, c'est le paradis. Et avoir la sensation d'être aimée, c'est extraordinaire», racontait Danielle Darrieux.(1)


Selon Paul Vecchiali, «c’est en inventant l’anti-star que Darrieux devient une star, à son corps défendant. Mais quel corps et quel visage, tellement expressifs, auxquels s’ajoute une voix délicate et juste qui sait aussi bien émouvoir que distraire !». Des trois chef-d’œuvres tournés avec Max Ophuls au début des années cinquante, on reverra à la Cinémathèque de Toulouse l’incontournable "Madame de" (photo). L’actrice confessait : «J'adore ce film. C'est même le seul que je regarde avec un vrai plaisir. Je devais être terriblement amoureuse pour dégager de telles ondes. Amoureuse de Max Ophuls, de Charles Boyer, que je retrouvais dix-huit ans après "Mayerling", et de Vittorio De Sica, qui avait un charme fou. J'étais au milieu de ces trois hommes sublimes, comme dans un rêve. D'ailleurs, à l'écran, on voit bien que je suis sur un nuage... Il y a eu un miracle. C'est peut-être aussi parce que c'était mon dernier film avec Ophuls. En tout cas, "Madame de..." restera “mon” film. Celui grâce auquel on ne m'oubliera pas tout à fait... […] Ma rencontre avec Max Ophuls a tout bouleversé... Dès "la Ronde", il y a eu un coup de foudre artistique entre lui et moi. Je crois au miracle des gens qui se croisent. À cette vibration, pas forcément physique, qui peut exister entre deux personnes. Il y a des adorations qui résistent à l'usure du temps, des amis dont on ne peut plus jamais se passer. C'est curieux, mais il y avait entre nous une osmose cinématographique. Il n'avait pas besoin de parler pour que je le comprenne. Quand il est mort, je me suis demandé comment j'allais faire pour jouer. J'étais perdue.»(2)


Pour Paul Vecchiali, «avec Ophuls, elle découvre enfin cette conjonction qu’elle espérait entre le talent et l’art ; élégance et profondeur. Chez Ophuls, l’impression rejoint l’expression. Est-ce un hasard ? […] Max Ophuls lui affirmait “Tu peux tout jouer, surtout les rôles tragiques, parce que tu es toujours un peu ridicule”. Mais, dans l’un des derniers plans de "Madame de...", juste avant la mort, le visage de l’actrice se charge d’incertitudes tragiques, d’évasion, de résignation enfin, évacuant toute notion de ridicule. Danielle Darrieux entre définitivement dans la légende. Les trois Ophuls, mais encore "le Rouge et le Noir" de Claude Autant-Lara confirment sa virtuosité et rehaussent sa beauté. Si tout est à retenir dans "la Ronde, "le Plaisir" ou "Madame de... ", on se souviendra aussi de la scène des allers-retours de Madame de Rénal lorsqu’elle tente de rejoindre Julien Sorel (Gérard Philipe) dans sa chambre. Plus stendhalienne que tout le reste de l’adaptation, cette séquence rend un vibrant hommage à une actrice accomplie.»


Le cinéaste constatait en 2009, à l’occasion de la rétrospective que consacra la Cinémathèque française à l’actrice : «Film après film, elle apporte à ses personnages et aux situations qu’ils traversent une clarté instinctive, née du simple bon sens, enrichie de sensibilité frémissante ou cocasse. Si la vulgarité l’amuse parfois, elle ne supporte pas ce qui est commun. Patiente profondément, impatiente dans l’instant, elle mène sa route avec une lucidité tranquille, jamais dupe des chemins qu’elle emprunte. Les yeux pleins de rêve (sa caractéristique la plus évidente), avec le recul nécessaire, Danielle Darrieux a fasciné cinq générations de cinéastes, traversé plus de soixante-dix ans de cinéma à l’aise, ô combien, dans la comédie comme dans le drame, le burlesque ou le tragique, jouant sa partition en instrumentiste raffinée, regard rivé sur le chef d’orchestre, sans nous proposer, par retenue ou par conscience professionnelle, les déceptions, les frustrations, les appétits, les accomplissements de la comédienne. Les films qui passent n’y changent rien. Complicité permanente avec la caméra, que nuance furtivement un sens inné du dérisoire ; visage offert, corps mobile, disponible, émotion légère prête à s’épandre, emportements fragiles, émerveillements contrôlés», affirmait celui qui l’a dirigée dans "En haut des marches", en 1983. «Son charme, son élégance et sa beauté sont inscrits dans la mémoire du cinéma. Son humilité fera sa grandeur», écrivait encore Paul Vecchiali.


Danielle Darrieux l'assurait : «Les acteurs d'aujourd'hui ont tout compris. Ils sont naturels... Regardez "les Deschiens". Ils sont plus proches de moi que toutes les bourgeoises que j"ai incarnées. J'ai l'impression de leur appartenir! On est là pour s'amuser. Je suis très loin de toutes ces valeurs conventionnelles...»(2)
 

Jérôme Gac
 

(1) La Croix (07/11/2006)
(2) L’Express (24/05/1997)
 

Rétrospective, du 21 novembre au 13 décembre ;
Exposition, jusqu’au 7 janvier.
 

À la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


mercredi 1 novembre 2017

Cartes blanches


















Nouveau festival de la Cinémathèque de Toulouse, Histoires de Cinéma invite Caroline Champetier, Bruno Coulais, Régis Debray, Rémy Julienne, Yannick Haenel, etc.


Nouveau festival de la Cinémathèque de Toulouse, Histoires de Cinéma s’attache à raconter le cinéma à travers les récits de cinq personnalités invitées à présenter leur sélection de films. Une manière de mettre en lumière le patrimoine cinématographique par le biais de cartes blanches confiées à des professionnels du cinéma, mais pas seulement puisqu’on attend la visite du philosophe Régis Debray. Plaçant son dernier roman ("Tiens ferme ta couronne") sous le signe du cinéma, notamment de Michael Cimino (photo), l’écrivain Yannick Haenel est aussi attendu pour «une programmation de films qui s’inscrit dans le prolongement de son dernier roman», explique Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse. 


Réalisateurs et acteurs étant exclus des festivités, c’est l’occasion de convier des personnalités moins exposées, mais néanmoins très reconnues pour leur talent : la directrice de la photo Caroline Champetier, le compositeur Bruno Coulais et le célèbre cascadeur Rémy Julienne. La Cinémathèque de Toulouse invite également la Cinemateca Portuguesa qui présentera quelques pépites puisées dans ses archives. Invité exceptionnel, après la rétrospective qui lui fut consacrée au printemps, le documentariste américain Frederick Wiseman rencontrera le public toulousain, à l’occasion de la sortie de son nouveau film "Ex Libris, The New York Public Librairy" – à l’affiche de l’American Cosmograph

En ouverture du festival, Neil Brand accompagnera au piano "Un cri dans le métro" (Underground), deuxième film d’Anthony Asquith qui met en scène un électricien et un porteur de bagages du métro londonien tombant amoureux de la même femme, employée d’un grand magasin. «Neil Brand, le grand compositeur anglais spécialisé dans l’accompagnement de films muets, nous a fait part de son goût pour la comédie et du plaisir qu’il aurait d’accompagner une séance de courts comiques. Un plaisir partagé qui ne se refuse pas. Aussi lui avons-nous proposé une séance de comédies muettes françaises, suivie d’un échange avec Michel Lehmann, autre spécialiste de l’accompagnement musical du muet», précise Franck Lubet.

Jérôme Gac

"La Porte du paradis" © collections La Cinémathèque de Toulouse


Du 3 au 11 novembre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.